Pourquoi l'Euro cristallise toutes les tensions

Par Constant Wicherek
9 min.
Aleksander Ceferin lors d'une conférence de presse @Maxppp

Cet Euro s'est déroulé dans plusieurs pays différents, c'est une première. On a pu observer tout un tas de polémiques et de prises de parole gouvernementale. Était-ce attendu ? Est-ce que cette organisation est à refaire et est-ce que l'UEFA s'en retrouve fragilisée ? Éléments de réponse.

Pour fêter les soixante années de l'Euro, Michel Platini, lorsqu'il était à la tête de l'Union européenne des associations de football (UEFA), a mis en place une compétition qui se déroulerait dans plusieurs pays. Avec un an de retard dû au COVID, la compétition a bien lieu cette année et quelques nations ont été choisies pour accueillir des rencontres.

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« Platini voulait créer un Euro dans plusieurs pays d'Europe pour fêter les 60 ans de l'Euro, c'était une manière de créer une communion des peuples, il y avait quelque chose de très festif », explique à Foot Mercato Lukas Aubin, Docteur en géopolitique, Auteur de La Sportokratura sous Vladimir Poutine : une géopolitique du sport russe (Bréal, mai 2021). Mais il existe plusieurs raisons à cette création, selon Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport.

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« La première raison est médiatique. C'était de rendre sa dimension européenne à la compétition. Elle est ensuite économique, elle permet à des pays d'accueillir l'Euro, d'avoir quelques matches dans des grands stades nationaux. Puis la troisième est politique. L'idée c'est de sécuriser les votes de l'Europe de l'Est pour la réélection à l'UEFA et à la FIFA. Il voulait garder la main dans la lutte pour la FIFA. Ça n'a pas réussi, mais tactiquement c'était bien joué », nous explique-t-il.

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Des critiques au départ

Même si l'idée, qui était surprenante avouons-le, pouvait être belle, elle n'empêchait pas les critiques. « Il y a eu pas mal de critiques d'un point de vue logistique et qu'il y aurait des déséquilibres entre les pays puisque tous les pays ne pouvaient pas y participer. Dans les faits, Ceferin, lui-même, a critiqué l'organisation. Il a expliqué qu'il reviendrait aux Euros plus traditionnels. Ce n'est pas dit que ce soit définitif. Mais tant que Ceferin sera à la tête de l'UEFA, on n'aura plus ce genre d'Euro », avance Lukas Aubin.

Jean-Baptiste Guégan nous détaille d'ailleurs ces fameux problèmes logistiques : « il y a des pays dans l'Union Européenne (UE, ndlr), hors de l'UE, ce n'est pas la même monnaie. Il y a des pays qui sont en dehors de l'Europe géographique comme l'Azerbaïdjan ou la Turquie. On savait que les supporters auraient des difficultés à se déplacer. Il y avait aussi des réticences liées aux différences politiques. L'Europe de l'Ouest savait que l'Europe de l'Est s'en servirait, puis il y a eu le Brexit. On savait que l'Angleterre, avec le nombre de matches à Wembley, serait une sélection favorisée. Cet Euro n'est pas égalitaire pour tous. Les Français étaient perdus entre Budapest, Bucarest et Munich. On est face à un Euro très politique et probablement le plus inégalitaire de tous depuis 1960 ».

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Des conflits géopolitiques tous azimuts

Mais ce qui a été finalement le plus frappant dans cette compétition, c'est le nombre de polémiques entre pays. « On savait que le football cristallisait des enjeux géopolitiques, mais ce qui est étonnant, c'est la répétition. Il y a eu, tous les trois jours, une nouvelle polémique. Notamment lors des matches de poules et nous, les chercheurs, on était sur sollicité, ce n'était pas un hasard. Le fait qu'autant de pays organisent, cela créée de la visibilité et des interactions de plein de pays différents alors qu'habituellement, on en aurait que dans un seul État. Le conflit principal serait par rapport à l'État d'accueil seulement. Là c'est quelques États face à plusieurs autres. C'est très symptomatique de l'organisation », poursuit Lukas Aubin.

Jean-Baptiste Guégan, de son côté, explique qu'il y a toujours eu un sentiment politique dans l'Euro, mais que cette fois, ça a été multiplié par le fait de l'organisation : « la politisation de cet Euro est unique, personne n'avait vu venir cela. Il y a toujours eu une question politique sous-jacente, il y a eu la guerre froide, puis l'intégration de certains pays à l'UE. Mais en dehors de cela, c'est aussi lié à l'extrême diversité de l'Europe depuis la planification de cet Euro. Dans l'intervalle l'Europe de l'Est a basculé vers une politique nationalisme type Orban. On a la même chose en Slovaquie, en Pologne. On a une Allemagne qui vit des heures compliquées et une Russie qui s'est servie du foot comme jamais. Du côté de la France et des pays méditerranéens, on a cette tendance identitaire qui a fait du foot un enjeu de société ou avant c'était moins prégnant médiatiquement. Une dernière donne aussi, quasiment tous les régimes ont une vision dans le football et cela au moment où l'UEFA décide d'ouvrir l'organisation, ce n'est pas prévu ».

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Pour autant, on a aussi affaire à une autre façon de faire. Une communication gouvernementale basée sur les réseaux sociaux. « On les a beaucoup entendus parce que le foot n'a jamais été aussi vu ou écouté. Il y a eu aussi les réseaux sociaux avec une caisse de résonnance. Les gouvernants ont tous des comptes twitter, à chaque fois qu'on parle de foot, ça crée du buzz, ça solidifie votre base électorale, c'est la logique du trumpisme version foot. Cela hystérise l'autre côté, ça renforce l'opposition et ça permet de donner le la de ce côté médiatique. Ce qu'on voit aussi c'est que cette approche aurait dû être prise en compte par l'UEFA qui a sous-estimé cette chose », développe Jean-Baptiste Guégan.

Quelles ont été les polémiques ?

Bien entendu, s'il y a débat, c'est qu'il s'est passé des choses. Tout a commencé avec l'Ukraine et la Russie, lors des lancements des maillots, détaille Lukas Aubin : « on a eu d'abord un lancement avec l'Ukraine avec ce maillot qui a intégré la Crimée sur la carte de l'Ukraine. Aujourd'hui, si la Crimée est reconnue seulement par onze pays de la planète comme étant Russe, de facto, elle l'est. Ce n'est pas parce que la majorité des pays de l'ONU ne la reconnaît pas qu'elle ne l'est pas. C'est donc un lancement très politique de l'Ukraine. L'idée c'était de marquer le coup. Il y avait aussi deux slogans "Gloire aux héros, gloire à l'Ukraine" et l'UEFA a demandé de faire retirer le premier, qui a été perçu directement dirigé contre la Russie. C'est de toute façon politique de mettre sur la carte la Crimée ». Puis dans la foulée, il y a eu le problème entre Hongrois et Allemands au sujet du stade à Munich aux couleurs de l'arc-en-ciel pour manifester son soutien aux personnes LGBT persécutées dans le pays de Viktor Orban.

« Viktor Orban a fait passer une loi dégradante pour les homosexuels récemment et ça a cristallisé un enjeu géopolitique par le stade de Munich qui a fait la demande auprès de l'UEFA pour arborer les couleurs arc-en-ciel contre la Hongrie. L'UEFA a statué en disant que le stade n'avait pas le droit de le faire et ça a créé une polémique parce que ça a été jugé comme une décision politique de l'UEFA, là où elle cherche à être apolitique », poursuit le docteur en géopolitique.

Mais cela ne s'est pas arrêté là puisqu'on a pu voir aussi la difficulté d'avoir une ligne commune, par exemple sur le COVID. Certaines jauges dans les stades étaient pleine (à Wembley et à la Puskas Arena, notamment). On a pu aussi voir l'écart des valeurs entre les différents pays de la communauté européenne et la quasi-impossibilité à dialoguer sereinement pour résoudre les conflits.

L'UEFA est en situation délicate

Certes, on à l'impression que tout cela part à vau-l'eau, mais il y a un organisateur : l'UEFA. Et l'instance s'est montrée complètement dépassée par les évènements. « Cela n'a pas fragilisé l'UE, mais l'UEFA, qui a été instrumentalisée par les états et qui n'a pas su ni prévenir, ni anticiper, ni réagir pour dépolitiser l'évènement. Il suffit de se rappeler du drapeau LGBT refusé à Munich, avant de céder et de coller le drapeau à son logo et attiser la colère de ceux qui étaient en faveur de la décision et des opposants côté hongrois », rappelle Jean-Baptisque Guégan.

Même son de cloche chez Lukas Aubin, qui avance que l'UEFA se retrouve bloquée. « Si on devait faire une synthèse de tous ces évènements géopolitiques autour de l'Euro, c'est qu'il y a un problème de l'UEFA, qui souhaite, comme elle le dit, dépolitiser le football. Le football est politique par essence, par le choix des stades, des gradins, des tribunes, de combien tu payes une place, de quel drapeau tu peux faire entrer, etc. On fait des choix de société. On n'a pas l'autorisation de montrer des signes politiques sur le terrain, c'est un choix politique, puisque tout l'est. Finalement, l'UEFA se retrouve bloqué dans son hiatus en essayant de défendre une cause qui n'est pas réaliste, cela explique aussi les conflits », nous souffle-t-il.

Le grand défi de l'UEFA

Car, justement, là est toute la question de l'avenir du football et de l'instance européenne. « L'UEFA doit prendre position. Elle peut servir d'instrument et être contrainte par les évènements. Est-ce qu'elle a un rôle à jouer ? C'est la question des prochaines décennies. Là où la NBA est en train devenir un acteur social et sociétal et va devancer et refléter les tendances. On l'a vu avec le mouvement "Black Lives Matter" et les programmes de charité. L'UEFA reste dans une position très 20e siècle avec un faux côté apolitique, un apolitisme de façade alors que l'on connaît leur rapport avec les régimes autoritaires. L'UEFA doit faire face à une mutation c'est celle de son statut d'organisation sportive », commence par explique Jean-Baptiste Guégan, avant de poursuivre.

«Oui, ils ont un statut associatif, mais ça va plus loin. Aujourd'hui c'est toute la question. Est-ce que l'UEFA va assumer d'être cet acteur, au même titre que les ONG, qui est capable d'orienter la politique des états, de soutenir des mesures progressistes, comme les valeurs du football ou va-t-elle se contenter de rester dans son rôle ? Rester dans son rôle pour des questions liées à sa logistique et surtout afin de préserver des choses qui ne vont pas dans le sens des avancées sociales ? C'est le défi et le danger de l'UEFA. L'UEFA et la FIFA ont développé des programmes de responsabilité sociale et environnementale, force est de constater que ce n'est que de la communication. C'est son grand défi. Se perdra-t-elle en s'impliquant, restera-t-elle capable de maîtriser le football et de ne pas être dépassée par les tendances sociales ou sera-t-elle au contraire une actrice du changement ?»

C'est en effet toutes les questions qui méritent d'être posées alors qu'on arrive au stade des demi-finales de la compétition avec quatre nations qui ont joué tous leurs matches de poules à domicile. Les polémiques politiques auront joué un grand rôle dans la médiatisation de cet évènement et ce n'est pas simplement en ne renouvelant jamais le format qu'on arrive à voir les conflits se résoudre. Mais l'UEFA a toujours eu pour habitude de mettre la poussière sous le tapis. Des choses sont certaines, le football est aussi un objet de pouvoir et il est en pleine mutation. Avoir si l'UEFA veut monter dans le train, ou perdre encore de l'influence.

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