A.Laporte, M.Pogba, G.Jourdren… On a rencontré le Youtubeur qui dort chez les footballeurs

Non, Florian Gautier n'est pas venu dormir chez nous. Le jeune Youtubeur de 23 ans en a pourtant désormais pris l'habitude quand il rend visite à quelqu'un. Depuis un an, pour le compte de sa chaîne YouTube, il a passé 44 nuits chez 22 sportifs, dont 9 footballeurs. Un concept qu'il avoue être inspiré directement de deux émissions populaires : "Intérieur Sport" et "J'irai dormir chez vous". «Comme j'adore voyager, c'est un prétexte (rires). Bon, pour les finances, c'est pas top...», nous confie l'Antoine de Maximy 2.0. Pour s'inviter à Manchester, à Pékin, aux États-Unis ou même au Kazakhstan, il faut évidemment mettre la main au portefeuille.

À 16 ans, il a vendu un site Internet pour 1 200 €

À raison d'une vidéo, et donc d'un voyage par mois, Florian a besoin d'une rentrée d'argent. La "YouTube Money" ? Il ne gagne «quasiment rien du tout». D'autant plus que France Télévisions, avec qui il a signé un contrat d'accompagnement, lui prend 20%. Alors Florian enchaîne les petits boulots. De la manutention dans un entrepôt à des piges pour une agence de presse, en passant par des missions d’hôte d'accueil en intérim. Vivre chez ses parents, en région parisienne, aide aussi beaucoup à économiser. «Mais je vais bientôt m'installer à Paris avec ma copine, alors je n'aurai pas le choix que de trouver un travail à temps plein», concède-t-il.

Ce n'est pas la première fois que Florian lance sa petite affaire. À l'âge de 16 ans, il a créé, puis vendu à un investisseur suisse son site Internet (actusports.fr) pour 1 200 €. «Un site qui ne ressemble en rien à ce qu'il était au départ», précise-t-il. Le déclic, c'est ce stage de 3ème avec le journaliste sportif Karl Olive (ex-Canal Plus), aujourd'hui Maire de Poissy (78). C'est tout naturellement que Florian intègre ensuite une école de journalisme. Un DUT à Tours, pendant deux ans, qui ne lui plaît pas beaucoup, mais qui lui permet de partir à Belgrade (Serbie) pour un stage à l'AFP. Le besoin de voyager, déjà. Dans la foulée, il prépare à fond le concours de l'agence de presse française. «Je pensais être parmi les meilleurs et j'ai fini avant-dernier, l'échec total». À partir de ce moment, il décide de se lancer en autodidacte, et de créer sa chaîne YouTube.

À City, Pep Guardiola verrouille

Son but en créant «Deux Nuits Avec» ? Voyager, indubitablement. Mais aussi «montrer un visage unique des joueurs». Quoi de mieux que de passer 48 heures avec eux pour les découvrir au naturel. En un an de vagabondage, Florian Gautier a enfilé son pyjama aux côtés de neuf footballeurs. Nicolas Benezet, Arthur Masuaku, Geoffrey Jourdren, Jérémie Boga, Umut Bozok, Mathias Coureur, Mathias Pogba, Christopher Jullien et Aymeric Laporte. Pour rentrer en contact avec eux, plusieurs possibilités. Instagram, d'abord, où les messages privés sont souvent ouverts. Pour Umut Bozok, il est passé par son agent. Il y a aussi les attachés de presse, mais c'est rare. Alors finalement, Florian enfile son costume d'enquêteur et traque les abonnements des joueurs. Il essaye de passer par l'entourage, la famille. «Je parlais avec la sœur d'Aymeric Laporte à l'époque où il était à Bilbao», nous confie-t-il.

Et s'il est obligé de procéder de cette manière, c'est que la communication est de plus en plus verrouillée, par les clubs, pour les joueurs. À Manchester City, «le terrain d'entraînement est entouré de murs car Pep Guardiola ne souhaite pas que quelqu'un voit quoi que ce soit. De toute l'année, aucun journaliste ne peut rentrer». De plus, la veille d'une rencontre, les joueurs sont en mise au vert et il est impossible de les approcher. Florian évite souvent de passer par les clubs, il estime que ce sont les joueurs qui doivent informer de leur participation à l'émission. «Au fait, t'as prévenu le club ?», lui demande le Français Aymeric Laporte, une heure avant qu'il ne prenne l'avion pour Manchester. «C'est peut-être cela qui m'a sauvé. Devant le fait accompli, le club a laissé faire».

Menacé de poursuites judiciaires

Mais ce n'est rien comparé à ce qu'il a vécu avec certains clubs français. Après avoir passé deux nuits avec Mathias Pogba à Tours, l'attaché de presse du club a insisté pour voir (et valider) la vidéo avant sa publication. Le Président Jean-Marc Ettori en personne devait également approuver. Ce que Florian n'accepte jamais de faire. «Je montre éventuellement aux joueurs, pour ne pas dire de bêtises par rapport à eux, mais jamais au club». Devant son refus d'obtempérer, le Tours Football Club menace Florian de «poursuites judiciaires». Le jeune journaliste, fidèle à ses principes, publie la vidéo et ignore les intimidations. L'affaire est aujourd'hui classée sans suite chez les pensionnaires de National 1.

Florian se pose désormais des questions sur les mentalités dans le football français. Un grand classique. Le Nîmes Olympique n'avait pas apprécié non plus qu'Umut Bozok tourne dans cette vidéo, puisqu'il n'avait prévenu personne. Christopher Jullien, à Toulouse, avait averti le club, mais comme le classement n'était pas rose (17e en Ligue 1), il était «seul responsable des conséquences». Il se trouve que «les deux joueurs ont été systématiquement mis sur le banc après la diffusion de l'épisode», souligne Florian. À West Ham (Londres, Angleterre), c'était différent. Arthur Masuaku n'avait mis personne au courant de la visite de Florian et l'invite au centre d'entraînement. «J'ai même mangé avec ses coéquipiers. J'étais à la table de Cheikhou Kouyaté, André Ayew, Diafra Sakho, et le coach Slaven Bilić est venu me serrer la main», raconte-t-il.

La liste d'alcools de Geoffrey Jourdren

Florian nous rapporte que chacune de ses expériences est différente, notamment en fonction de la personnalité des joueurs. Après coup, Florian se demande pourquoi Aymeric Laporte a finalement accepté de participer. «Ce n'est pas du tout le profil, extrêmement réservé et timide, qui n'a pas besoin d'exposition, jouant déjà dans l'un des plus grands clubs d'Europe». Pour Geoffrey Jourdren, en revanche, l'intérêt est évident : changer le regard des gens. «J'ai créé ce concept pour faire cette vidéo, pour voir les commentaires du genre "merci d'avoir montré son vrai visage"». Quand Florian contacte Geoffrey pour lui demander de dormir chez lui, il garde alors les buts de l'AS Nancy Lorraine en Ligue 2 et se sent «touché qu'on pense encore à lui».

Dans son monde, en décalage, capable de beaucoup d'auto-dérision et d'une gentillesse indescriptible, voilà comment Florian décrit le gardien de but Champion de France 2012 avec Montpellier. Il se souvient que Geoffrey Jourdren possède une cave à vin chez lui, alors qu'il ne boit pas de vin. C'est pour ses amis, quand il reçoit. «Il me montre ses alcools et il me dit "j'essaye d'en avoir le plus possible pour faire plaisir à tout le monde", et là il me tend sa liste de tout ce qu'il a, et me demande ce qu'il manque. C'est extrêmement touchant». En froid avec les médias depuis de longues années, Geoffrey Jourdren accepte désormais de refaire quelques interviews depuis le passage de Florian.

Chicha et PlayStation

Pour permettre aux joueurs de se sentir plus à l'aise, Florian utilise une GoPro, cette petite caméra moins envahissante que les autres. Mais surtout, il «essaye toujours d'arriver la nuit d'avant, sans caméra, car le premier contact est important». C'est un scoop, Florian reste en réalité trois nuits chez les footballeurs. En étant avec eux H24, il distingue forcément les petites habitudes de chacun. C'est de génération, les jeunes joueurs sont très souvent sur leur smartphone. «Des fois, je fais une blague et ils n'entendent même pas, alors je me prends un vent». Moins drôle en revanche, sur la vingtaine de sportifs qu'il a rencontrés, il estime que la moitié fumait, clope ou chicha. «Chez les footballeurs c'est chicha à fond, je n'ai pas vu de cigarette», modère-t-il. Pendant son court passage, Florian demande aux joueurs de faire des activités, histoire d'animer les journées. «Si je les écoute, on reste jouer à la PlayStation (rires)».

De chaque rencontre, Florian garde de bons souvenirs, certainement, et des maillots, parfois. «Ils le font naturellement pour la plupart, mais je n'aime pas réclamer. Je n'ose pas trop leur demander». En notant les anniversaires de chacun dans son agenda, Florian a l'occasion de prendre des nouvelles de tout le monde au moins une fois par an. Mais pour la majorité, le contact est régulier, surtout via les réseaux sociaux. C'est avec le globe-trotteur Mathias Coureur qu'il parle le plus souvent. «On est devenu très proche, j'ai déjà été mangé chez ses parents, c'est dire». C'est au fil des rencontres que Florian s'est rendu compte que les joueurs n'avaient pas forcément beaucoup d'amis, hors foot. Et que le lien entre eux reste unique après son passage. «Quand je sors de là, je connais toute leur vie, et il connaisse toute ma vie».