Le régime des impatriés, un autre enjeu du mercato 

Par Josué Cassé
8 min.
Messi, Neymar, Vitinha, Sissoko @Maxppp

À quelques heures de l’ouverture du marché des transferts hivernal, Foot Mercato vous propose de revenir sur le régime de l’impatriation. Aussi complexe qu’intéressant, ce coup de pouce fiscal permet notamment aux clubs français de faciliter certaines négociations. Explications.

« Les conneries c’est comme les impôts, on finit toujours par les payer » proclamait Michel Audiard. Bien que soumis à des règles particulières, les professionnels du ballon rond doivent, eux aussi, se plier aux obligations fiscales. Après l’amortissement des indemnités de transfert et les plus-values suspectes réalisées durant le mercato, Foot Mercato souhaite, aujourd’hui, revenir sur un régime fiscal particulier : l’impatriation. Encadré par l’article 155-B du Code général des impôts, ce dernier n’est pas des plus simples à vulgariser mais peut, en revanche, s’avérer précieux à l’heure des négociations.

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Mise en place en 2008 dans l’Hexagone, cette mesure n’est pas seulement réservée aux hauts revenus du sport professionnel. Permettant plus globalement aux entreprises d’attirer des salariés prisés ou des talents convoités, ce dispositif - valable dans tous les compartiments de l’économie - reste malgré tout un véritable atout pour les clubs français, prêts à tout pour se renforcer sur le marché des transferts. Dans cette optique et pour le définir succinctement, le régime des impatriés permet ainsi de bénéficier, en France, d’un abattement fiscal de 30 % sur sa rémunération nette, à condition de ne pas avoir été résident fiscal dans l’Hexagone lors des cinq années civiles précédant la signature du contrat. Contacté par nos soins, Alexandre Benslima, avocat en droit fiscal, droit douanier et droit des sociétés précise malgré tous les conditions d’attribution de ce coup de pouce fiscal.

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L’impatriation, un régime avantageux et réglementé !

« Ce régime spécifique, applicable jusqu’à huit années de suite pour le joueur concerné, permet d’attirer des profils étrangers ou français, de retour d’un long exil, et de leur verser en plus de leur salaire normalement imposable, une prime d’impatriation. C’est une prime qui peut être égale soit à un montant forfaitaire de 30 % du salaire versé au joueur par ailleurs, soit (c’est généralement le cas) elle est fixée de façon réelle. On inscrit concrètement un montant dans le contrat de travail du joueur de football. Cette prime est totalement exonérée d’impôts, elle est soit mensualisée, soit versée à la fin de l’année ». Pour illustrer les bienfaits de cette prime, un joueur percevant 1 million d’euros de rémunération ne paiera des impôts que sur 700 000 euros. « Cadeau » de l’administration fiscale française, le régime de l’impatriation, donnant plus de latitudes aux clubs, a notamment permis au Paris Saint-Germain de faciliter les négociations avec Neymar, en 2017, puis avec Lionel Messi, sur le toit du monde depuis le 18 décembre dernier.

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Hormis le cas particulier de Monaco où les joueurs étrangers ne bénéficient pas de l’impatriation mais sont, quant à eux, totalement exemptés d’impôt sur le revenu, à l’instar de l’attaquant japonais Takumi Minamino, à l’heure actuelle, de nombreux joueurs de Ligue 1 sont éligibles à ce régime. De l’attaquant belge Loïs Openda (RC Lens) au milieu portugais Vitinha (PSG) en passant par le gardien autrichien Patrick Pentz (Reims), l’attaquant des Sang et Or Adam Buksa, l’ailier marocain Zakaria Aboukhlal (Toulouse), l’avant-centre néerlandais Thijs Dallinga (Toulouse), le défenseur équatorien Jackson Porozo (Troyes) ou encore le milieu français Moussa Sissoko (34 ans, 71 sélections), de retour au FC Nantes, neuf saisons et demie après avoir quitté le Toulouse FC et la Ligue 1 en janvier 2013, tous peuvent ainsi bénéficier de ce coup de pouce fiscal. En revanche, des profils comme Alexandre Lacazette, Corentin Tolisso (OL) et Maxime Gonalons (Clermont) ne peuvent y prétendre puisque l’absence fiscale s’entend en année civile et non en saison… Installés fiscalement en France en 2017, l’année de leur départ, ils ratent ainsi, à six mois près, cette précieuse aide. Et pour cause, exceptée cette prime dite d’impatriation qui permet d’attirer le joueur en lui versant un salaire net imposable qui coûte moins cher au club, d’autres bénéfices existent aussi :

  • exonération d’impôt sur la fortune immobilière à raison des biens détenus à l’étranger (ex : logiquement un résident fiscal français est imposable sur sa fortune immobilière tant sur ses biens français qu’étrangers alors qu’un impatrié ne sera imposable que sur ses biens situés en France).

  • exonération à hauteur de 50 % d’impôts sur le revenu des dividendes versées par les sociétés étrangères.

  • exonération à hauteur de 50 % des plus-values de cessions de sociétés étrangères.

  • exonération de 50 % de tous les revenus liés à la propriété intellectuelle dans des sociétés basées à l’étranger (ex : en tant que résident fiscal français, Leo Messi paiera moins en se versant des redevances par le biais d’une société de droits à l’image étrangère qu’un résident français).

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La compétitivité du football français au cœur du dispositif !

Si les acteurs du football français ont souvent pointé du doigt les prélèvements obligatoires (cotisations sociales, impôts) auxquels sont assujettis les clubs et les joueurs, qui viendraient réduire leur compétitivité, la mise en place de ce dispositif fiscal par le législateur permet donc de rééquilibrer la donne. « En France, ces différents avantages (cités ci-dessus, ndlr) donnent ainsi un coup d’avance aux clubs dans leurs différentes opérations de transfert, elle permet aussi de compenser des charges sociales et patronales élevées qui diminuaient, jusqu’à présent, la compétitivité des clubs français », résume, à ce titre, Alexandre Benslima. Dès lors, l’impatriation ressemble à une opération parfaite. D’un côté le joueur paie moins d’impôts - ou c’est son club qui réduit sa rémunération brute si le transfert a été négocié net de cotisations et d’impôts - de l’autre l’État est, lui, loin d’être perdant en récupérant le solde des impôts après abattement et les cotisations sociales salariales et patronales versées par le salarié et le club. S’agissant, dans le cadre du football, de hauts revenus, un taux marginal maximal de 45 % s’applique. Ainsi, le joueur impatrié est imposé à 31,5 % (45 % de 70 %), hors certaines autres contributions additionnelles.

À titre de comparaison avec les différents championnats européens - mécanisme primordial puisque ce régime de l’impatriation s’inscrit dans une logique d’attractivité économique - ce dispositif particulier s’appelait « la loi Beckham » en Espagne. Cette loi avait été mise en place en 2004 et a, depuis, été supprimée pour les sportifs professionnels. Sous la vindicte populaire et suite à de nombreux débats sur le fait qu’ils gagnaient trop d’argent, l’État espagnol a fini par supprimer l’application du régime aux sportifs professionnels. Plus avantageux qu’en Angleterre et en Allemagne, le régime français d’impatriation est, en revanche, largement concurrencé par celui introduit, le 1er janvier 2020, en Italie. Ainsi, il suffit d’avoir été absent du pays pendant deux années fiscales pour bénéficier du régime d’impatriation, applicable 5 ans (8 ans en France), mais renouvelable à certaines conditions. L’abattement normal est lui de 50 % (30 % en France), soit un taux d’imposition marginal ramené à 21,5 % (contre 31,5 %).

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Les limites d’un régime complexe sur le plan juridique !

Régime ouvert à la pédagogie - « plusieurs clubs ratent encore son application par manque de conseils d’un avocat » selon Alexandre Benslima - l’impatriation est malgré tout confronté à certaines limites pratiques. « En France, il y a un garde-fou qui est que le salaire normalement imposable pour le joueur football ne doit pas être déséquilibré par rapport à cette prime d’impatriation. Pour illustrer avec des chiffres simples, le joueur ne peut pas avoir un salaire de 10 euros et une prime de 100 000 euros, exonérée d’impôts, ce n’est pas possible. » Si le déséquilibre est confirmé, l’administration fiscale se chargera alors de redresser le club (ex : au lieu de 100 000 de salaire, 100 000 de prime, le club propose 20 000 de salaire, 180 000 de prime, alors l’administration procédera à un redressement fiscal de 80 000, soit la différence). Pour éviter cet abus, le législateur précise qu’il faut donc verser un salaire normal, égal à la rémunération que perçoit un salarié occupant des fonctions analogues. « Pour le cas des joueurs de football, si un club recrute un milieu de terrain étranger, il faut qu’il ait un salaire cohérent par rapport aux autres milieux de terrain du club. Il faut regarder le montant moyen des salaires pour les milieux de terrain. Ce qui est interdit c’est d’octroyer à la nouvelle recrue un salaire, par exemple, 40 % inférieur au salaire moyen de tous les milieux de terrain et compenser ces 40 % là avec une prime d’impatriation. Cette déviance ne marche pas », assure notre intervenant. Ainsi, afin d’entrer dans le champ d’application du régime de faveur des sportifs impatriés, « la rémunération versée doit être similaire à la rémunération pour des fonctions analogues en France ». Qu’est ce qu’une fonction analogue dans le cadre du football ?

« Au sujet de ces fonctions, l’arrêt du 16 mars 2021 de la Cour administrative d’appel de Paris concernant le cas de Claude Makélélé (le PSG avait déterminé son salaire de référence en se basant sur les rémunérations de sept autres joueurs du club, évoluant aux postes de milieu de terrain, mais aussi de défenseur, et ayant une notoriété ou une expérience comparable à la sienne, ndlr) nous donne une grille de lecture assez intéressante. La limite est d’axer sur les postes donc il faut distinguer gardien de but, défenseur, milieu de terrain et attaquant. Il faut ensuite regarder la moyenne de rémunération par poste de son effectif et verser un salaire cohérent en fonction de cette moyenne », résumait ainsi Alexandre Benslima avant d’ajouter une exception prévue par la doctrine fiscale qui est de prendre la plus faible rémunération dans une catégorie donnée. « Vous pouvez par exemple vous aligner sur la plus faible rémunération d’un milieu de terrain mais le risque de redressement est plus élevé car quand on lit la doctrine fiscale, l’administration cherchait à dire 'le joueur que le PSG a pris en comparaison n’a pas une expérience similaire, le joueur en cause était Claude Makelélé et prenait en compte des facteurs subjectifs et non plus seulement des fonctions analogues ». S’il semble donc exister une sorte de vide juridique autour de ces questions de fonctions analogues, ce régime représente, quoi qu’il en soit, un réel avantage pour les joueurs et indirectement pour les clubs. Place désormais aux négociations.

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