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Faux échanges, plus-values suspectes, pirouettes comptables : les dérives du mercato !

À l'heure où le mercato estival vient de refermer ses portes dans la majorité des pays, Foot Mercato vous propose, après l'amortissement des indemnités de transfert, de revenir sur les plus-values suspectes, pour ne pas dire fictives, réalisées dans le cadre de transferts simultanés. Une astuce comptable aux allures de faux échanges, largement observée en Italie, qui intervient dans un contexte économique plus qu'incertain. Explications.

Par Maxence - Josué Cassé
10 min.
 Arthur Melo (à gauche) et Miralem Pjanić (à droite). @Maxppp

Qui dit marché des transferts, dit également stratégies, plus-values ou encore livres de comptes, qui plus est en pleine période d’incertitude économique ! À ce titre, comment ne pas évoquer ces «faux échanges» réalisés entre clubs et visant, notamment, à améliorer leurs bilans financiers ? En juin 2020, la Juventus et le Barça concluaient ainsi une opération envoyant Miralem Pjanic (32 ans) du Piémont en Catalogne et Arthur Melo (25 ans) dans le sens inverse. Cette transaction, qui n’avait d’échange que le nom, consistait en réalité à la conclusion de deux transferts distincts, mais intimement liés. D'un côté, le Bosnien signait donc chez les Culés pour environ 60 millions d’euros, de l'autre le Brésilien s’engageait chez les Turinois pour 72 M€ !

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Des indemnités de transfert déroutantes !

«Nous avons pris un joueur que nous suivions depuis des années et qui est plus jeune que Miralem. Et puis, nous avons réussi une superbe opération financière», se félicitait alors Fabio Paratici, ancien directeur sportif du club turinois. Des sommes éveillant, cependant, la curiosité de nombreux observateurs. Arthur, remplaçant au Barça, pouvait-il vraiment valoir 72 M€ deux ans après avoir été payé 31 M€ ? Et comment expliquer cette somme astronomique de 60 M€ pour un Pjanic âgé, à cette époque, de 30 ans et sortant d'une saison plus que moyenne ? Alertée sur le sujet, la justice italienne s’en est d’ailleurs directement mêlée même si la Vieille Dame, et 10 autres clubs italiens aux pratiques similaires, ont depuis été acquittés en première instance et en appel. Retour sur ces «échanges» menant à certaines plus-values suspectes.

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Comme nous l’expliquions dans un précédent article, l’amortissement des indemnités de transfert permet d’étaler comptablement le coût de l’investissement réalisé sur la durée du contrat du joueur nouvellement signé. Dès lors, lorsque le Barça signe Pjanic en provenance de la Juve, l’indemnité de transfert de 60 millions d’euros payée pour le Bosnien - qui signe un contrat jusqu’en juin 2024 - peut être amortie sur 4 ans, et ce indépendamment du moment où la somme sera versée à la Juve. Il en va de même pour Arthur, signant, à l'époque, un contrat jusqu’en juin 2025.

Au-delà de la qualité des deux joueurs, les montants, relativement déconnectés de la réalité du marché de l’époque, interrogent et posent la question d'une telle opération. Dans cette optique, si les sommes déboursées sont, sur le papier, très élevées, peu d’argent rentre ou sort, en réalité, des caisses. L’effet sur les comptes est lui en revanche spectaculaire, grâce à la notion de plus-value... Et là encore, l'explication est comptable. En effet, lors d’une transaction, pour le club acheteur, le coût de l’investissement est amorti et réparti comptablement sur la durée du contrat, tandis que pour le club vendeur, la plus-value à la vente (le prix de vente moins la valeur résiduelle du contrat du joueur) est immédiatement inscrite dans les comptes. Autrement dit, d’un point de vue comptable, l’acheteur étale le coût sur plusieurs années tandis que le vendeur enregistre le gain immédiatement.

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Des plus-values suspectes

Prenons alors l'exemple du cas Arthur-Pjanic pour mettre en lumière les mécanismes précédemment cités.

  • Pour le Barça, en 2019-2020, le coût de Pjanic a été de 15 millions (60 millions d’indemnités / 4 ans de contrat) tandis que les recettes obtenues pour Arthur ont été de 72 millions – la VNC (valeur nette comptable) du joueur (inconnue).
  • Pour la Juve, en 2019-2020, le coût d’Arthur a été de 14,4 millions (72 millions d’indemnités / 5 ans) et les recettes de 45 millions (60 millions d’indemnités – 15 millions de VNC au moment du transfert).
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En résumé, en «échangeant» leurs joueurs sous la forme de deux transferts, dirigeants turinois et barcelonais ont ainsi généré tous deux des revenus importants sur la saison 2019-2020 tout en étalant les coûts sur plusieurs saisons, leur permettant, entre autres, de rentrer dans les clous du Fair-play financier. Par ailleurs, ils n’ont même pas eu besoin de beaucoup de trésorerie puisque les indemnités s’annulaient partiellement et seuls 12 millions d’euros (72 – 60) devaient être versés de la Juve au Barça. Un «faux-échange» permettant donc aux deux cadors européens d’augmenter leurs recettes sur la saison 2019-2020. Une astuce comptable présentant, malgré tout, le risque de la fuite en avant puisque les coûts restants devront être intégrés pendant les 4 années qui suivent pour Arthur et les 3 années qui suivent pour Pjanic.

Un danger immédiat pour le football ?

Ce type de manœuvre pourrait ainsi causer au moins deux problèmes importants : l’inflation des indemnités de transfert et la potentielle surévaluation de l’actif des clubs. En effet, si la Juve et le Barça s’échangent Pjanic et Arthur pour 60 et 72 millions d’euros alors que leurs valeurs marchandes semblaient sensiblement moindres, pourquoi ne pourraient-ils pas se les vendre plus cher et augmenter encore plus leurs recettes ? Probablement, car les deux clubs souhaitent rester prudents et partiellement éviter la fuite en avant que nous évoquions. Néanmoins, si ce type de pratiques ne pouvait être sanctionné, cela mènerait très certainement à une augmentation fictive (décorrélée de la valeur économique des joueurs) des indemnités de transferts. Par ailleurs, les indemnités de transfert versées sont inscrites à l’actif des clubs, c’est-à-dire qu’elles représentent une partie des ressources dont le club dispose pour alimenter son activité économique.

De manière générale, une entreprise avec un actif important a beaucoup de ressources et est donc mieux valorisée. Néanmoins, l’actif est censé représenter objectivement la situation du club et ne devrait pas pouvoir être sensible à de telles pirouettes comptables. Tout ceci sans parler du déséquilibre crée entre les clubs ayant recours à ces pratiques et les autres. Des transactions basées sur une certaine forme de complaisance entre les deux écuries concernées qui pourraient alors entraîner une véritable bulle inflationniste. Et pour cause, ces opérations de trading réalisées sans liquidités dans les caisses ne doivent pas faire oublier qu'un salaire se paie en argent et non par l'intermédiaire de divers ajustements comptables. Avec ce système, légal sur le plan judiciaire, il est donc très tentant de surévaluer un joueur pour inscrire la somme la plus importante possible sur le bilan financier.

Une dérive systémique ?

À ce titre, nombreux sont les exemples allant dans le sens de celui exposé avec Pjanic et Arthur. En 2018, Stefano Sturaro (29 ans), milieu de terrain de la Juve, est ainsi prêté au Sporting. Rapidement blessé, il sera finalement rapatrié dans le Piémont avant d'être transféré pour 16,5 millions d'euros au Genoa ! Le transfert le plus cher de l'histoire des Rossoblu et une plus-value de 12,9 millions sur le bilan financier du club turinois... Et que dire d'Emil Audero, parti à la Sampdoria pour 20 millions d’euros (plus-value de 19,9 millions) ou d'Alberto Cerri, transféré à Cagliari pour 9 millions d’euros (plus-value de 8,9 millions). Avec ces trois joueurs, les Bianconeri ont ainsi ajouté près de 42,7 millions à leur bilan économique de la saison 2018/2019. Spécialiste, la Juventus a d'ailleurs inscrit dans ses comptes un demi-milliard d’euros de plus-values sur les cinq dernières saisons, dont plus de 150 M€ pour 2019-2020 précise le site spécialisé Calcio e Finanza.

Et les autres clubs italiens ne sont pas en reste. Dans cette optique, l’Inter Milan ne s'est pas faite prier pour vendre au Genoa, en septembre 2020, Andrea Pinamonti (23 ans). Montant de l'opération ? 18 millions d'euros ! Le tout pour un attaquant sortant d'un prêt décevant à Frosinone... Et la liste ne s'arrête pas là pour les Nerazzurri. Federico Valietti (6 millions, au Genoa), Zinho Vanheusden (12 millions, au Standard), Ionut Radu (8 millions, au Genoa) ou encore Davide Bettela (7 millions, à l’Atalanta), l'Inter n'a cessé, au cours des derniers mois, de créer d'importantes plus-values via la Primavera. Même son de cloche du côté de l'AS Roma où Davide Frattesi, Ricardo Marchizza, Marco Tumminello, mais aussi Luca Mazzitelli ont, au total, rapporté 18 millions d’euros à la formation romaine. Une pratique largement observée en Italie, mais qui tend à s'exporter. Dans ce sens, quelques clubs français sont aussi impliqués.

En janvier 2021, l'OM concluait avec la Vieille Dame un deal questionnant. Alors que Marley Aké s'en allait de l'autre côté des Alpes pour 8 millions d'euros, Franco Tongya, aujourd'hui à Odense Boldklub, faisait lui le chemin inverse pour le même montant. Et que dire du LOSC avec le transfert de Victor Osimhen vers Naples pour 72 M€ durant le mercato estival 2020. On savait le deal complexe, mais ce sont surtout les quatre joueurs napolitains engagés «en échange» par les Dogues qui a de quoi interpeller. Orestis Karnezis, 35 ans au moment des faits, récupéré à un an de la fin de son contrat contre 5,1 M€ ! Claudio Manzi (21 ans), recruté par le LOSC à Naples contre 4M€, prêté dans la foulée à Fermana en Serie C, avant de partir libre l'été dernier. Luigi Liguori (23 ans) a lui aussi fait le voyage entre Naples et Lille en 2020 pour 4 M€, puis a également été prêté à Fermana et à Lecco en Serie C. Il a finalement quitté les Dogues libre, en juillet 2021, pour rejoindre Afragolese en Serie D... Enfin, le dernier cas et certainement le plus parlant. Ciro Palmieri (21 ans) qui évolue aussi en Serie D, à Nocerina où il est arrivé libre en août dernier. Pourtant, Lille l'avait recruté 7 M€ un an auparavant avant de le prêter à Fermana.

Quelles solutions ?

À l'heure où plusieurs formations cherchent donc à corriger leurs bilans par des «plus-values fictives», les instances tentent de réagir. En 2018, le Chievo Vérone avait ainsi été sanctionné d’une amende et d’un retrait de points après une multitude d’opérations jugées fictives avec Cesena, qui lui avaient permis d’équilibrer ses comptes et de pouvoir s’inscrire au championnat. En novembre 2021, la brigade financière italienne investiguait, encore, sur 11 clubs italiens et 59 de leurs dirigeants, accusés de gonfler des indemnités de transferts pour augmenter leurs plus-values et envoyés devant la justice. En plus de l’échange Pjanic-Arthur, 62 autres transactions auraient ainsi été passées au crible.

Néanmoins, tous les clubs et leurs cadres, faute d’éléments suffisants, ont été acquittés le 15 avril 2022, avec confirmation en appel le 17 mai 2022. Incapable de prouver qu’une indemnité de transfert avait été surévaluée, la justice a ainsi malheureusement estimé qu'aucune méthode fiable d’objectivation des indemnités de transfert n’existait encore. «La méthode d'évaluation adoptée par le parquet fédéral [pour justifier la surévaluation des joueurs] peut être considérée comme 'une' méthode d'évaluation, mais pas 'la' méthode d'évaluation. (...) L'inexistence de la méthode d'évaluation de la valeur (...) peut légitimer la reconnaissance de droits pour n'importe quel montant», précisaient d'ailleurs les motivations du tribunal.

Face à l’impasse judiciaire, la solution pour la fédération consisterait alors à réguler plus fortement les transferts pour éviter que de telles pratiques ne se reproduisent dans le futur. La justice italienne indique d’ailleurs trois axes de régulation : sur la définition de la valeur et du prix des échanges, sur le traitement des plus-values et sur la valorisation des indemnités de transfert après la première année. Autant d'axes de travail pour la fédération italienne, mais plus généralement pour les instances régulatrices du football. Au mois de février dernier, la Gazzetta dello Sport révélait, en ce sens, que l’UEFA, agacée par ces tours de passe-passe au niveau comptable, gardait un œil sur ces transactions. «La grande question des frais de transfert et des règlements financiers est de savoir si nous devrions avoir un calcul mathématique de la valeur du contrat d'un joueur ou si cela devrait être laissé à la discrétion des clubs, des agents, des intermédiaires ou de qui que ce soit», s'interrogeait d'ailleurs Gianni Infantino, président de l'instance depuis 2016, lors d'une conférence intitulée «Commentaire sur le Règlement relatif au Statut et au Transfert des Joueurs».

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