Comment Radomir Antic a influencé le football espagnol

Par Max Franco Sanchez
6 min.
Radomir Antic célèbre le sacre en Copa del Rey face au Barça en 1996 @Maxppp

Connu pour être le seul entraîneur à avoir dirigé l'Atlético, le Real Madrid et le FC Barcelone au cours de sa carrière, Radomir Antic était bien plus qu'un CV clinquant. Le Serbe était en quelque sorte un avant-gardiste dans le monde du football espagnol.

La semaine dernière, l'Espagne apprenait le décès de Radomir Antic. Du haut de ses 71 ans, le tacticien serbe nous quittait. Une perte qui a suscité de vives émotions en Espagne, où il était particulièrement apprécié et toujours présent dans le paysage médiatique via ses activités de consultant. Sans avoir un palmarès affolant, le natif de Žitište faisait partie des figures les plus respectées de ce grand monde du foot espagnol. Il faut dire que celui qui est surtout connu pour avoir remporté le doublé Liga-Coupe avec l'Atlético de Madrid en 1996 a, à son échelle, eu un sacré impact sur la façon dont on voit le football de l'autre côté des Pyrénées. Contrairement à ce qu'on pourrait penser lorsque l'on regarde les rencontres de Liga ou le rayonnement des coachs espagnols en Europe, le football ibérique n'a pris ce tournant très penché sur la tactique que récemment.

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Avant, le football espagnol était effectivement très rudimentaire, et le travail des coachs restait assez secondaire dans la mesure où l'aspect tactique n'était pas vraiment poussé, et les joueurs faisaient la loi sur le terrain. Si le football est devenu une affaire de coachs au pays de Cervantes et qu'on a aujourd'hui des Guardiola, des Bordalas, des Marcelino, des Rafa Benitez ou des Unai Emery, c'est en partie grâce à lui. Lorsqu'il est arrivé à Saragosse, son premier club en Espagne, il fut l'un des premiers coachs à insister sur l'utilisation de la vidéo en Liga, pas uniquement pour analyser les adversaires et ne rien laisser au hasard dans la préparation des rencontres, mais aussi pour s'inspirer de ce qui se faisait de mieux en Europe. Antic insistait notamment beaucoup sur le modèle de l'Ajax, et forçait ses joueurs à manger de la VHS. Et ce alors que sa façon de jouer différait énormément de celle du club néerlandais. Il avait ce côté obsessif du coach qui veut absolument tout contrôler sur le terrain.

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Les premières bases du Cholismo ?

S'il a aussi entraîné les deux ogres de la Liga - le Real Madrid et le FC Barcelone - avec plus ou moins de succès, c'est à l'Atlético qu'il a eu le plus de succès. Son passage au Santiago Bernabéu n'a cependant pas été mauvais, loin de là, et le président de l'époque, Ramon Mendoza, l'avait licencié en janvier 1992... alors qu'il était en tête de la Liga avec 8 points d'avance ! Et pour cause, le jeu pratiqué par son équipe, jugé trop peu spectaculaire, ne plaisait pas au dirigeant. Un scénario inenvisageable aujourd'hui, surtout à l'époque où la tendance en Espagne est plus à l'équilibre et à la solidité qu'au jeu débridé vers l'attaque. Résultat des courses, le Real Madrid a laissé filer cette Liga, la première des deux perdues face à Tenerife. Chez les Merengues, il avait également procédé à quelques réajustements intéressants, replaçant Fernando Hierro, défenseur central, en tant que milieu de terrain, où sa puissance physique permettait de briser des lignes facilement et de se projeter très vite vers l'avant. D'où ses 21 buts sur la saison 1991/1992. Il fut l'un des premiers coachs à tenter des choses en bousculant les habitudes des joueurs, et au Barça, il avait également fait jouer un jeune Xavi Hernandez bien plus haut que ce qu'on a pu voir par la suite.

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Tous les buts de l'Atlético en Liga lors de la saison 95/96

En débarquant sur les rives du fleuve Manzanares en 1995, au sein de cet Atlético de Madrid à la dérive, il ne s’imaginait probablement pas connaître un tel succès. Les parallèles avec Diego Simeone, qu'il a eu sous ses ordres, sont d'ailleurs évidents : tous deux ont pris une équipe mal en point qu'ils ont immédiatement réussi à redresser, les deux se sont mis le public dans la poche immédiatement et surtout, les deux avaient une philosophie commune : on est peut-être moins bons, moins riches, mais on peut rivaliser avec tout le monde. Le tout, avec un schéma tactique permettant de neutraliser au maximum les offensives du rival, exploiter du mieux ses erreurs et faire mal en transition en attaque, avec des joueurs qui ont explosé sous leurs ordres. Kiko Narvaez, attaquant légendaire de l'Atlético, ou le terrible milieu offensif Milinko Pantic, en sont de bons exemples. Comme Diego Simeone à ses débuts à Madrid - ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui - Antic parvenait aussi à exploiter du mieux les coups de pied arrêtés dont bénéficiait son équipe. On rappelle qu'après ce doublé de 95/96, l'Atlético a dû attendre 2010 (Europa League sous Quique Sanchez Flores), puis l'arrivée de Simeone pour regagner un titre (l'Europa League en 2012). Par la suite, il reviendra en pompier de service en 2000, alors que l'équipe est encore en difficulté, mais ne parviendra pas à éviter la relégation des Rojiblancos.

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Guardiola était intrigué par Antic

Sur le banc, il a fait en quelque sorte preuve d'avant-gardisme, dans la mesure où il forçait les joueurs à adopter son système tactique et sa vision du football, là où la majorité adaptait son équipe aux joueurs présents dans l'effectif. Le tout, en accompagnant les joueurs dans ce processus d'adaptation, étant considéré comme une véritable figure paternelle par la plupart d'entre eux. « Un joueur peut apprendre à n'importe quel âge, à partir du moment où il est impliqué dans le processus », expliquait Antic dans un article du journal El Pais datant de 1995. Il avait la confiance du public, mais aussi de ses hommes donc. À l'époque, la tendance chez les coachs était plutôt à la figure autoritaire et distante avec les joueurs. Tactiquement, son Atlético avait des principes de jeu qu'on retrouve aujourd'hui chez d'autres grands entraîneurs espagnols. Kiko Narvaez a ainsi récemment confié que lors des rassemblements de la sélection espagnole, Pep Guardiola lui posait énormément de questions sur la façon de voir le football de Radomir Antic, et plus précieusement sur la façon dont il structurait son équipe pour faire le pressing dans la moitié de terrain adverse.

La façon dont il demandait à son gardien José Francisco Molina, de jouer au pied et d'être le premier relanceur de l'équipe, était aussi en quelque sorte quelque chose dont on n'avait pas l'habitude à l'époque, bien qu'aujourd'hui le fait de voir un gardien jouer proprement au pied soit devenu commun. Il exigeait même à ses gardiens d'être 20 mètres devant leurs cages quand leur équipe était dans la moitié de terrain adverse ! Dans un autre registre, le but de Penev, sur penalty, lors du match face au Sporting de Gijon en début de saison 95/96 (voir ci-dessus) symbolise bien l'obsession qu'avait Antic pour l'étude de ses adversaires. « On savait que leur gardien ne tirait pas les six-mètres, c'était un joueur. Du coup, si on reprenait le ballon sur le dégagement et qu'on trouvait Penev directement devant, il ne pourrait pas y avoir hors-jeu, et on aurait une situation de un contre un. Ce fut le cas, et on a gagné un penalty. Si ce travail peut nous apporter trois ou quatre points par saison, ça vaut la peine de le faire », avait confié Antic après ce match. Aucun détail n'était laissé au hasard. Si on ne peut pas le classer dans la catégorie des révolutionnaires du football, force est de constater qu'il a permis de démocratiser certains concepts qui n'étaient pas vraiment communs en Liga. Peut-être que s'il avait sérieusement renfilé le costume de coach ces dernières années dans ce championnat espagnol qui a bien changé, il aurait connu encore plus de succès qu'à l'époque, lui qui était en avance sur son temps...

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