L’évolution du défenseur latéral : de bouche-trou à facteur X @Maxppp

L’évolution du défenseur latéral : de bouche-trou à facteur X

Par Frederic Yang - ThomasCvrK - 04/03/2021 - 18:10

Depuis sa création, le football se redéfinit continuellement. Et s'il y a bien un poste qui a complètement évolué, c’est celui de défenseur latéral. Dans un premier temps purement défensif, le latéral est devenu un maillon essentiel avec de multiples tâches à accomplir. Focus sur ce poste peu considéré au départ et qui est devenu le « facteur X » des grandes équipes.

Il est désormais loin le temps où les matchs de football de haut niveau devaient principalement leur étincelle au génie d'un 10 et à la finition chirurgicale et spectaculaire des attaquants. Dans le football moderne, le danger et le spectacle viennent de partout. Les joueurs sont devenus plus athlétiques, plus intelligents tactiquement, plus doués techniquement tandis que les espaces sont devenus de plus en plus rares et que le temps a été réduit au minimum. C'est ce qui a d'ailleurs poussé le 10 traditionnel à disparaître. Dans ce contexte-là, les entraîneurs ont dû trouver des solutions pour redéfinir les espaces à exploiter et sous l'influence de l'école latine, les latéraux ont vu leur profil drastiquement changer au fil des années au point de devenir des éléments clés pour le succès. Ce qui n'était pas gagné au départ.

Un poste d’abord délaissé

Avant que la révolution n’intervienne, le poste de défenseur latéral a longtemps été considéré comme le moins important sur le terrain. Les latéraux faisaient autrefois office de « bouche-trous ». Il s’agissait du poste où personne ne souhaitait jouer et où généralement le moins bon joueur d'une équipe était placé. « Quel enfant veut jouer à ce poste ? Pas moi », déclarait Glen Johnson, 54 sélections avec la sélection anglaise au poste de latéral droit, à FourFourTwo en 2017.

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Finalement, jusqu'à la fin des années 1990, la plupart des latéraux étaient soit des défenseurs centraux qui n’avaient pas les qualités ou la taille nécessaires pour jouer dans l’axe soit des ailiers de formation, avec de bonnes qualités d'endurance mais qui n’étaient pas assez doués techniquement. Les arrières ont donc longtemps été les victimes préférées des meilleurs ailiers du monde, qui dominaient le football avant de laisser place aux numéros 10. Garrincha et George Best entre autres, prenaient un malin plaisir à humilier ces défenseurs de côté qui n’avaient pas vraiment choisi de l’être.

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Souvent confrontés à des duels en un-contre-un face à des ailiers créatifs et rapides, occuper ce poste demandait (et demande encore) des ressources physiques et mentales élevées. C'est d'ailleurs pourquoi les joueurs spécialisés dans les duels défensifs ont marqué une époque phare du poste de défenseur latéral, où la rigueur et l'anticipation étaient des qualités privilégiées.

Dans les années 1990, il était rare de voir des défenseurs latéraux très offensifs, et encore moins en Italie, terre du Catenaccio. « J’ai eu un petit problème quand j’étais à l’Inter. Je suis Brésilien et j’aime attaquer, mais ils voulaient jouer avec quatre défenseurs qui n’avaient pas le droit d’aller de l’avant », expliquait Roberto Carlos à Sky Sports. C’est pour cette raison que le Brésilien a quitté l’Italie pour rejoindre l’Espagne, où il changea la vision du poste de latéral à tout jamais...

Les prémices du latéral moderne viennent du Brésil

Quand on parle des meilleurs latéraux de l’histoire, les noms de Roberto Carlos et Cafu viennent immédiatement en tête. Et pour cause ! Ils peuvent être considérés comme les précurseurs d’un poste dont la face changea définitivement quelques années après leur retraite, avec l’arrivée de nouveaux latéraux brésiliens comme Daniel Alves et Marcelo. En réalité, Roberto Carlos et Cafu n'étaient pas les pionniers de ce nouveau genre puisqu’ils ont suivi la lignée des latéraux brésiliens comme Nilton Santos et Carlos Alberto, qui étaient relativement offensifs pour leur époque.

Dans le livre de Gabriele Marcotti, « Capello: portrait d’un gagnant », l’auteur dit que Fabio Capello ne voyait pas Roberto Carlos comme une arme défensive mais comme une arme offensive. L'entraîneur italien a mis de côté ses principes de jeu pour lui donner un grand rôle offensif, ce qui en dit long sur les qualités du Brésilien. « Roberto Carlos peut couvrir toute l’aile tout seul », affirmait Vincente Del Bosque, qui l’a entraîné au Real Madrid.

Ces latéraux qui enchaînaient les allers-retours entre la défense et l'attaque ont en partie contribué à la naissance des « faux-ailiers » ou « ailiers inversés », qui ne jouaient plus sur leur pied fort pour déborder et centrer mais plutôt pour rentrer intérieur et tenter de marquer, comme le faisait si bien Arjen Robben par exemple. Ces ailiers modernes ont libéré les couloirs pour des dédoublements plus efficaces des latéraux.

« Quand on rentrait vers l'intérieur, cela libérait l'espace pour notre latéral qui montait. Si le latéral adverse me suivait, cela libérait l'espace pour notre latéral, qui se retrouvait seul; s'il ne me suivait pas et restait dans sa zone, cela me permettait d'être assez libre pour trouver un attaquant avec mon pied droit, centrer, frapper... », argumentait Johan Micoud dans le livre « Comment regarder un match de foot ? », en évoquant l’équipe de Bordeaux championne de France en 1999 avec Elie Baup, dans laquelle il jouait ailier dans un 4-4-2 à plat.

Quand les latéraux sont définitivement passés à l’offensive

À la fin des années 2000, la réussite des latéraux offensifs brésiliens, comme Roberto Carlos et Cafu, a contribué à un changement de mentalité autour de ce poste de jeu. De plus en plus de latéraux de ce profil ont donc émergé dans le monde entier, si bien que de nombreux ailiers de formation ont été replacés en tant que latéraux au niveau professionnel. Cependant, le déséquilibre qualitatif entre leur capacité supérieure à attaquer et leur capacité inférieure à défendre pouvait poser problème et nécessitait une adaptation dans l'animation du jeu, souvent matérialisée par la présence d'un latéral très offensif et d'un ailier faux-pied d'un côté et celle d'un latéral défensif et d'un ailier de débordement de l'autre. Pour combler les lacunes défensives de ces latéraux offensifs, l'astuce trouvée par les entraîneurs fut aussi de les aligner en tant que pistons dans des dispositifs en 3-5-2 ou en 3-4-3, où ils étaient protégés par trois défenseurs centraux.

FC Barcelona Daniel Alves da Silva

Mais un joueur a particulièrement influencé une nouvelle interprétation du poste: Daniel Alves. Sous la direction de Pep Guardiola, le Brésilien a pu étaler toute sa palette technique et sa créativité, grâce à la liberté offensive qui lui était accordée. Ses lacunes défensives ont été atténuées par le style de jeu protagoniste des Barcelonais, leur contre-pressing très efficace et le profil plus défensif et équilibrant d'Eric Abidal sur le côté gauche. Dans la lignée des latéraux qui se projetaient plus vers l'avant grâce à des ailiers qui rentraient souvent à l’intérieur, Daniel Alves a formé l’un des meilleurs duos de l’histoire du football avec Lionel Messi sur le côté droit. Lors de la saison 2010/2011, le natif de Juazeiro a délivré 21 passes décisives toutes compétitions confondues alors que les Catalans ont réalisé un sextuplé historique. Réaliser plus de 20 passes décisives en une saison est normalement digne d'une certaine élite de milieux de terrain mais Dani Alves fut bel et bien une sorte de meneur de jeu depuis une position excentrée. Il s'agissait-là des prémices de la nouvelle évolution du poste.

Le « facteur X » des plus grandes équipes du football moderne

Après avoir été considérés comme des « bouche-trous », les latéraux sont donc devenus des éléments déterminants des équipes victorieuses. Ils sont devenus en quelque sorte les « facteurs X » des meilleures équipes du monde. En regardant de près les vainqueurs de Ligue des champions de la dernière décennie, on s’aperçoit que ces équipes avaient toutes une paire de latéraux de très haut niveau. On retrouve Alaba-Lahm puis Davies-Kimmich pour le Bayern Munich, Marcelo-Carvajal pour le Real, Alves-Abidal puis Alves-Alba pour le Barça, Trent Alexander-Arnold et Robertson du côté de Liverpool. Toutes ces paires de latéraux représentent l'évolution moderne du poste. Seuls les latéraux de l’Inter en 2010 et de Chelsea en 2012 n’avaient pas une influence très importante en attaque, étant donné le style de jeu défensif de leurs équipes.

Pour prendre l’exemple du Real Madrid, Marcelo et Dani Carvajal étaient extrêmement importants dans tous les domaines en phase de possession. Ces deux latéraux étaient très efficaces pour sortir du pressing adverse, d’autant plus qu’avec Casemiro, qui était souvent ciblé et peu adroit pour un milieu de terrain moderne, les hommes de Zinédine Zidane n’hésitaient pas à relancer à partir des côtés tant ils avaient confiance en leurs latéraux pour se sortir de situations compliquées. Plus haut sur le terrain, les deux joueurs créaient un nombre d'occasions incalculables pour leurs attaquants et notamment Cristiano Ronaldo, qui a marqué de nombreux buts décisifs en reprenant leurs centres. Pour illustrer leur importance, ils furent les Madrilènes ayant touché le plus de ballons lors des trois finales consécutives de Ligue des champions entre 2016 à 2018, devant deux maestros comme Luka Modric et Toni Kroos.

Marcelo Real Madrid

Ces dernières années, Trent Alexander-Arnold et Andrew Robertson ont fait également beaucoup parler d’eux à Liverpool. Pièces maîtresses du système de Jürgen Klopp, ils sont les deux joueurs qui créent le plus d’occasions chez les Reds. Cette apparition des latéraux créateurs a permis aux ailiers d'évoluer davantage près du but et dans les demi-espaces, qui sont devenus des zones clés pour faire la différence. Comme Marcelo et Carvajal, ils sont aussi des éléments essentiels lors des phases de sorties de balle courtes puisque leur qualité technique leur permet souvent de se sortir de situations périlleuses, qui génèrent derrière des occasions de buts pour les dévoreurs d'espace que sont Salah et Mané.

Lors du Final 8 de la Ligue Europa, on a aussi pu voir qu'un 10 traditionnel comme Ever Banega se repositionnait souvent en position de « latéral » sur les phases offensives, pour organiser le jeu depuis l'arrière tandis que Sergio Reguilón évoluait plus haut. Face à des blocs médians organisés en 4-4-2, l'endroit où les joueurs disposent de plus de temps demeure effectivement celui normalement réservé aux latéraux. On comprend donc pourquoi une amélioration à la fois de la technique et de la créativité est devenue essentielle pour occuper ce poste. Sans oublier l'amélioration de la polyvalence.

Les latéraux inversés et l’influence de Pep Guardiola

Après les latéraux bouche-trous, les latéraux ailiers et les latéraux meneurs de jeu, une autre tendance s'est dégagée ces dernières années sous l'influence de Pep Guardiola: les latéraux inversés. Initié au Bayern Munich, grâce à la polyvalence de Philip Lahm, le concept des latéraux inversés a poursuivi son chemin à Manchester City. Fernandinho ou encore Kyle Walker ont occupé ce rôle chez les Skyblues mais sa meilleure interprétation est récente avec l'émergence de João Cancelo. Si City a remporté 21 matchs consécutifs entre janvier et mars, c’est en partie grâce à l’utilisation et aux prestations de l'international portugais dans ce rôle hybride.

Excellent latéral droit offensif, mais souvent décrié pour ses manques en défense à la Juventus, João Cancelo évolue désormais régulièrement en tant que « latéral inversé » chez les Citizens. Partant souvent d'une position initiale de latéral gauche, alors qu'il est droitier, le Portugais s'insère facilement dans le cœur du jeu pour offrir des solutions inédites et supplémentaires à ses coéquipiers. Il n'est pas rare aussi de le voir se promener d'un côté à l'autre du terrain pour mieux brouiller les pistes.

Pour résumer, le latéral inversé est un joueur « hybride » qui favorise le dépassement de fonction, en se projetant au milieu de terrain mais parfois aussi dans la surface et sur les côtés. Son activité et ses déplacements incessants déstabilisent les adversaires et créent de nouveaux espaces à exploiter pour ses coéquipiers, dont les ailiers qui profitent du surnombre qu'il apporte dans le cœur du jeu pour avoir plus de situations de un-contre-un à jouer sur les côtés. Il s'agit en quelque sorte d'un libéro moderne, un joueur libre qui permet de créer des supériorités numériques et qualitatives partout sur le terrain.

La place des latéraux défensifs dans le football moderne

Parmi les récentes grandes équipes à s'imposer au plus haut niveau, l’équipe de France est l’une des seules à ne pas aligner des latéraux aux caractéristiques offensives. Les deux latéraux titulaires, Lucas Hernandez et Benjamin Pavard, sont deux défenseurs centraux de formation. Ceci peut s'expliquer par une tendance culturelle, orientée davantage vers l'équilibre et la prudence plutôt que sur la prise de risque. « Un défenseur latéral, c'est avant tout un défenseur », rappelait Didier Deschamps dans Breaking Foot sur RMC Sport en 2018. Un avis partagé par Benjamin Pavard dans l'Équipe: « le premier rôle d’un défenseur, quel que soit son positionnement, dans l’axe, à droite ou à gauche, c’est de bien défendre. Mon principal objectif, c’est de gagner mes duels. »

Les latéraux qui priorisent la défense ne sont donc pas « has-been » et les Bleus en sont la preuve. Mais la tendance bascule plutôt vers la disparition d'une hyper spécialisation des postes de jeu au profit de la polyvalence des joueurs, c'est pourquoi le développement tactique et technique des latéraux doit être favorisé dès le plus jeune âge.

Vous avez donc pu constater à quel point le poste de défenseur latéral a évolué au fil du temps grâce à des profils atypiques mais aussi grâce à la philosophie de jeu des entraîneurs. L'émergence de latéraux hyper complets comme Trent Alexander-Arnold ou João Cancelo donne de nouvelles perspectives quant à la construction du jeu, à l'interprétation des espaces et au rôle des joueurs sur le terrain. Les latéraux n'ont certainement pas fini d'évoluer et ils sont mêmes devenus des joueurs particulièrement prisés sur le marché. Une belle performance pour des anciens « bouche-trous ».

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