La gestion de patrimoine, l’enjeu oublié des footballeurs professionnels
Derrière les projecteurs du football professionnel, de nombreux joueurs sombrent dans la précarité une fois leur carrière terminée. Faute d’accompagnement patrimonial et fiscal adapté, certains se retrouvent sans ressources, parfois même à la rue. Quelles sont les causes de ces dérives ? Comment éviter le crash ? Qui peut les accompagner ? Plongée dans les coulisses d’un naufrage évitable.

Ils ont connu la gloire, ils ont connu les projecteurs, ils ont connu les stades pleins et les salaires à six chiffres. Pourtant, certains anciens footballeurs professionnels se retrouvent aujourd’hui sans le sou, voire à la rue. Derrière les strass et les paillettes du football professionnel se cache, en effet, une réalité plus sombre : celle d’un (trop) grand nombre de joueurs mal préparés à la gestion de leur patrimoine. En l’absence de conseils spécialisés, les erreurs s’accumulent, les fortunes s’évaporent, et les carrières finies laissent place à des existences fragiles, parfois brisées.
Giuly, Eboué, Mollo… les catastrophes industrielles se multiplient
Le cas d’Emmanuel Eboué est sans doute l’un des plus médiatisés de ces dernières années. Ancien joueur d’Arsenal et international ivoirien, il a tout perdu après son divorce et des problèmes juridiques complexes qu’il n’a pas su gérer seul. Eboué, qui gagnait des centaines de milliers d’euros par an en Angleterre, a raconté avoir vécu sans domicile fixe, hébergé par des amis, incapable de se déplacer à Londres faute de pouvoir acheter un simple ticket de métro. Sa descente aux enfers illustre, avec brutalité, ce que peuvent vivre certains footballeurs une fois les projecteurs éteints.
Dans le sillage de l’Ivoirien, Yohan Mollo, passé par Saint-Étienne et le Zenith Saint-Pétersbourg, a lui aussi connu la dégringolade. En mai 2022, il expliquait ainsi que malgré un salaire de 400 000 euros par mois à son apogée, il s’était retrouvé à vivre avec seulement 400 euros mensuels, incapable de retirer 20 euros au distributeur. Trahi par des proches à qui il avait confié la gestion de son argent, mal entouré, il s’est retrouvé au bord du gouffre financier. Lucide et sans fard, son témoignage a lui aussi révélé combien l’illusion de richesse pouvait être éphémère sans accompagnement structuré.
Ces dernières années, les exemples n’ont d’ailleurs cessé de se multiplier. «Mes premières paies, mon père avait procuration. Si j’étais payé le 5 du mois et que j’allais au distributeur le 6 ou le 7, il n’y avait déjà plus rien. Mon père prenait tout. J’ai eu des moments très difficiles avec mon père. Je devais aller à 00h01 au distributeur, quand la paie tombe, pour retirer mon argent et pouvoir aider ma mère», confiait dans cette optique, Yann M’Vila, ancien joueur du Stade Rennais. Victime d’arnaque financière et de placements douteux - qui ont eu raison de son patrimoine bâti au fil d’une carrière pourtant bien remplie - Ludovic Giuly a également perdu une partie de sa fortune.
Avocat fiscaliste/gestionnaire de patrimoine, un duo clé
Que dire enfin du destin de Joachim Fernandez, lui, qui n’a bénéficié d’aucune lumière médiatique. Ancien joueur des Girondins de Bordeaux, il est décédé à l’âge de 43 ans, seul, sans ressources et dans une indifférence générale. Après sa retraite sportive, il n’a trouvé ni soutien ni reconversion, sombrant dans une précarité absolue. Une fin tragique illustrant le revers de la médaille : quand la carrière est terminée et que rien n’a été préparé, le vide peut être total. Des histoires malheureuses, comptées en dizaines et révélant finalement un mal structurel dans l’univers du football : l’absence de culture financière et patrimoniale chez de nombreux joueurs. Et pour cause.
Si une carrière professionnelle de haut niveau peut générer plusieurs millions d’euros en quelques années, la brièveté de cette période, combinée à une pression sociale et familiale importante, rend la gestion de cette richesse particulièrement complexe. Ajoutez à cela la jeunesse des joueurs, parfois la naïveté, souvent l’ignorance, et vous obtenez une situation explosive. Un fléau ouvrant dès lors une réflexion sur la gestion de patrimoine des joueurs de haut niveau. Comment limiter les biais ? Vers qui se tourner pour gérer au mieux ces ressources XXL ? Quels risques éviter tout au long de son parcours ? Comment préparer l’après carrière ? Autant de questions auxquelles nous avons tenté d’apporter des réponses grâce à l’oeil avisé d’Alexandre Benslima, avocat fiscaliste, Alexandre Monteil, gestionnaire de patrimoine, mais également le témoignage d’acteurs du football (Jean-Charles Castelletto).
En début de carrière : anticiper et encadrer la gestion patrimoniale
Dès le début de leur carrière et au regard des trajectoires douloureuses évoquées précédemment, les joueurs devraient donc être encadrés par des professionnels capables de les conseiller sur la manière de gérer leurs premiers revenus. Il ne s’agit pas seulement d’ouvrir un compte épargne, mais bien d’anticiper leur fiscalité, de comprendre les mécanismes de l’impôt et de poser les premières briques d’un patrimoine équilibré. Une démarche permettant également à chacun d’éviter les erreurs fiscales, telles que des redressements dus à des déclarations mal maîtrisées. En France, un outil comme l’article 100 bis du Code général des impôts permet, par exemple, de lisser les revenus sur les années précédentes sans activité significative. Utilisé à bon escient, ce dispositif peut alors permettre de réaliser de très belles économies. Prenons l’exemple d’un joueur gagnant 30 000 € par mois (soit 360 000 € par an). Sans l’article 100 bis, ce joueur paierait environ 131 020 € d’impôt par an mais en appliquant l’article 100 bis, les revenus seraient alors répartis sur trois années précédentes sans revenus significatifs. L’impôt est alors calculé sur la base de 90 000 € par an (360 000 € / 4 ans). Sur trois ans, l’économie fiscale est substantielle :
- Impôt sans 100 bis (sur trois ans) : 393 060 €
- Impôt avec 100 bis (sur trois ans) : 271 428 €
- Économie totale sur trois ans : 121 632 €.
Précisons toutefois que ce dispositif est temporaire et que la pression fiscale augmentera si les revenus baissent. Il est donc essentiel d’investir les économies réalisées, par exemple dans une assurance-vie, avec l’accompagnement d’un "family office" (société privée spécialisée dans la gestion du patrimoine d’une ou plusieurs familles).
Pendant la carrière : maximiser et protéger son patrimoine avec un duo avocat fiscaliste/gestionnaire de patrimoine
Au fil de leur carrière, les joueurs vont également devoir structurer et sécuriser leur patrimoine. Cette période, où les revenus explosent, est aussi celle de tous les dangers. L’accompagnement par un duo composé d’un avocat fiscaliste et d’un gestionnaire de patrimoine devient alors essentiel. Le premier veille à la conformité fiscale, identifie les régimes avantageux — comme celui des impatriés qui permet à un joueur étranger en France de n’être imposé que sur une partie de son salaire pendant huit ans —, tandis que le second construit une stratégie d’épargne et d’investissement adaptée à la vie du joueur. Dans un contexte où les revenus sont élevés mais souvent irréguliers, où les contrats changent de pays en pays, et où les carrières peuvent s’interrompre brutalement, cette structure devient un rempart indispensable.
Il ne s’agit pas de placer aveuglément dans l’immobilier ou les produits défiscalisant à la mode (produit permettant à un contribuable de réduire sa pression fiscale), mais de bâtir un portefeuille diversifié, solide, qui puisse générer des revenus réguliers pendant et surtout après la carrière. L’assurance-vie luxembourgeoise, par exemple, est un outil souvent recommandé pour les joueurs expatriés, car elle offre une grande flexibilité juridique et fiscale à l’échelle internationale. L’immobilier locatif dans des zones dynamiques peut également assurer une rente stable. En revanche, confier sa fortune à des amis, des membres de la famille non qualifiés ou à des sociétés peu scrupuleuses reste l’erreur la plus courante — et la plus coûteuse. C’est là que le duo avocat fiscaliste/gestionnaire de patrimoine joue un rôle déterminant, notamment dans le processus d’optimisation fiscale.
Le gestionnaire de patrimoine va, en effet, s’assurer que l’épargne et les investissements du joueur sont structurés pour atteindre des objectifs à long terme, alors que l’avocat fiscaliste va lui veiller à optimiser la fiscalité. Un bon exemple est le régime des impatriés, un dispositif fiscal qui permet aux joueurs venant de l’étranger de bénéficier d’une exonération d’impôt sur une partie de leurs revenus pendant 8 ans. Prenons l’exemple d’un joueur impatrié avec un salaire annuel de 500 000 €. Le régime des impatriés permet une exonération de 30 % sur le salaire, soit 150 000 €, ramenant ainsi la base imposable à 350 000 €. En appliquant le barème progressif de l’impôt, cela se traduit par une économie d’environ 67 500 € d’impôt par an. Sans ce conseil fiscal, le joueur serait imposé sur la totalité de ses revenus, ce qui alourdirait considérablement sa charge fiscale.
Outre l’optimisation, il est aussi essentiel d’éviter les erreurs fiscales. Les joueurs, en raison de la complexité des revenus (contrats, primes, sponsoring, droits à l’image, etc.), peuvent facilement manquer à certaines obligations déclaratives. Cela peut entraîner des redressements fiscaux, des amendes et des majorations d’impôts. Malheureusement, il est fréquent de voir des joueurs, malgré leurs revenus faramineux, se retrouver en difficulté financière, incapables de payer leurs impôts à temps en raison d’une mauvaise gestion. Le rôle du duo avocat fiscaliste/gestionnaire de patrimoine est donc de prévenir ces situations. L’avocat s’assure que les déclarations fiscales sont correctes et que toutes les obligations sont respectées, évitant ainsi des contrôles ou sanctions. Le gestionnaire de patrimoine aide, de son côté, à répartir les revenus de manière à ce que le joueur ait toujours la liquidité nécessaire pour honorer ses engagements fiscaux et continuer à épargner.
Enfin, il est également crucial que ces professionnels accompagnent le joueur dans la diversification de son patrimoine. Dès lors, ne pas tout concentrer dans des actifs risqués ou illiquides est une clé de succès pour la gestion à long terme. Par exemple, des investissements en assurance-vie, en immobilier ou même des parts de société permettent de lisser les risques et d’anticiper la fin de la carrière, où les enjeux demeurent là-aussi nombreux.
Post-carrière : préparer l’avenir et la transmission du patrimoine avec rigueur
En effet, lorsque la carrière touche alors à sa fin, la rigueur doit rester la même. La raison principale ? La chute brutale des revenus. Le défi est alors de préserver son niveau de vie sans vendre dans la panique des actifs mal choisis ou trop illiquides. Il faut aussi penser à transmettre ce patrimoine à ses enfants ou à ses proches, de manière intelligente et fiscalement optimisée. Des dispositifs comme le démembrement de propriété, ou la création d’une holding familiale, permettent d’organiser cette transmission tout en conservant le contrôle des actifs. Mais là encore, sans accompagnement, ces stratégies restent inconnues de la plupart des joueurs. Le premier enjeu est donc de sécuriser les revenus futurs.
Les joueurs doivent se reconvertir financièrement et parfois professionnellement, mais il est indispensable que leurs investissements leur assurent une stabilité financière. En général, les experts conseillent de commencer par des placements sûrs comme l’immobilier, qui offre une rente stable grâce à des loyers réguliers. Cela permet de mettre en confiance le joueur, qui passe d’un statut où ses revenus sont massifs et immédiats à un statut où il doit construire une sécurité financière à long terme. Une fois cette sécurité acquise, il est possible de diversifier avec des investissements plus complexes ou risqués - private equity (forme d’investissement à travers laquelle un investisseur consacre une partie de ses capitaux au développement d’une entreprise non cotée en bourse), actions en bourse, startups - mais toujours sous la supervision d’un gestionnaire de patrimoine expérimenté, qui peut équilibrer les risques et opportunités.
L’autre enjeu post-carrière est la préparation de la transmission du patrimoine aux enfants ou aux héritiers. Un avocat fiscaliste va intervenir pour structurer cette transmission de manière à minimiser la fiscalité successorale, notamment par des mécanismes comme le démembrement de propriété, qui permet de transmettre progressivement la nue-propriété des biens immobiliers tout en conservant l’usufruit, ou la création de holdings familiales qui peuvent bénéficier d’avantages fiscaux. Ces mécanismes permettent de protéger le patrimoine, de favoriser la transmission entre générations et d’éviter de lourdes taxes successorales. Le rôle du gestionnaire de patrimoine, quant à lui, est d’assurer que les investissements réalisés durant la carrière permettent de maintenir un flux régulier de revenus pour financer les besoins de la famille, tout en préparant une transmission.
Sans ces conseils spécialisés, de nombreux joueurs se retrouvent, aujourd’hui, mal préparés pour la retraite. Il est d’ailleurs encore courant de voir d’anciens joueurs vendre des actifs de manière précipitée ou déstructurée, souvent à des conditions défavorables, simplement parce qu’ils n’ont pas anticipé la baisse de revenus. Un suivi régulier avec un avocat et un gestionnaire de patrimoine permet d’éviter ces pièges et d’assurer une retraite confortable. Enfin, au-delà des individus, c’est l’ensemble du système du football professionnel qui devrait s’emparer de la question, à commencer par le syndicat des joueurs, l’UNFP, qui a un rôle essentiel à jouer.
Le rôle du syndicat des joueurs (UNFP)
Par la mise en place de programmes de formation à la gestion patrimoniale dès les centres de formation, l’organisation de rencontres avec des professionnels de confiance ou encore diverses campagnes de prévention au sein des clubs, les instances pourraient ainsi drastiquement limiter les risques. A noter, à ce titre, que ces démarches existent déjà dans d’autres sports, tels que le rugby ou la NBA. Une chose est sûre, au regard des milliards d’euros générés chaque saison, le football français ne peut plus fermer les yeux, qui plus est à l’heure où la réussite d’une carrière ne se mesure plus uniquement au nombre de buts ou de sélections, mais aussi à la capacité du joueur à transformer ses revenus en un avenir serein.
Ainsi les témoignages d’Emmanuel Eboué, Yohan Mollo ou encore Yann M’Vila, pour ne citer qu’eux, ne devraient plus résonner comme des anecdotes tragiques mais bien comme des avertissements permettant à la gestion patrimoniale de devenir un pilier aussi essentiel que la préparation physique ou la performance technique. Car après le coup de sifflet final, commence un autre match, souvent plus difficile, que seuls les mieux préparés remportent. Défenseur central au Al-Duhail SC depuis le 23 juillet dernier, Jean-Charles Castelletto, passé par le Stade Brestois et le FC Nantes, nous a d’ailleurs confié les bienfaits d’un tel accompagnement.
Pour aller plus loin : le témoignage de Jean-Charles Castelletto
«Je me suis entouré d’un gestionnaire de patrimoine à titre personnel avec l’idée d’éviter de nombreux écueils. Je voulais aussi me concentrer pleinement et seulement sur le football sans avoir à penser à ces considérations, je voulais déléguer cette partie et avoir une certaine tranquillité d’esprit à ce niveau là. Mon gestionnaire de patrimoine travaille sur plusieurs projets avec moi, il me propose des investissements, sur des placements pour de la défiscalisation notamment, ça fait 5 ans qu’on collabore et tout se passe très bien. Après c’est évident que la gestion diffère en fonction des revenus, la gestion ne sera pas la même avec un jeune joueur en début de carrière et un profil plus aguerri, plus expérimenté dans le monde du football où ce ne sont plus les mêmes chiffres. Je suis un passionné aussi sur l’immobilier donc j’avais une sensibilité face à ces questions au départ mais mon choix a été très précis, je voulais une personne qui partage les mêmes valeurs que moi, on est très terre à terre tous les deux, il sait ce qui me convient, il connaît ma vision des choses et on forme une bonne équipe. Les risques aujourd’hui pour les footballeurs sont surtout liés à l’entourage, on le répète bien trop souvent mais c’est une réalité. Comment tu vas gérer ton argent ? Comment tu vas penser ton après-carrière ? Ce sont ça les vraies questions et en fonction de l’entourage, tu peux être amené à faire de mauvaises dépenses. Alors, sur le moment, tu ne verras pas de problèmes forcément mais à long terme, ça peut devenir catastrophique. On veut être rentiers à la fin d’une carrière, une carrière de footballeur ça ne dure pas longtemps, c’est un monde à part donc l’idée c’est de faire les bons choix dès le début de sa carrière pour éviter de le payer à la fin. On a des revenus au-dessus de la moyenne donc il faut profiter pour investir car on est aussi dans un écosystème où tout le monde n’a pas forcément un bagage d’études donc c’est aussi plus compliqué derrière pour la reconversion. Tous ces paramètres, il faut les prendre en compte, il faut réfléchir à comment placer son argent pour sécuriser son après-carrière. Aujourd’hui, ça reste un sujet assez personnel, individuel, les clubs ne sont pas forcément sensibilisés sur cet aspect. Après, pour moi, la meilleure expérience reste celle des coéquipiers. Des jeunes qui débarquent dans le monde professionnel peuvent aussi venir demander conseil à des cadres plus expérimentés, plus au fait de ces enjeux. Le message que je peux faire passer à la jeune génération, c’est d’être toujours curieux, de poser des questions par rapport à l’expérience que d’autres ont connu et qui savent comment ça va se passer, il faut rester ouvert d’esprit. Est ce que c’est bien ? Pas bien ? Qu’est-ce que ça va engendrer si je fais ça ? Le mieux reste d’être parfaitement entouré et soutenu pour éviter ces dérives qui malheureusement arrivent trop souvent».