Ligue 1

Assises des médias et du football professionnel : la relation médias-clubs, une fracture préoccupante

À l’invitation du RC Lens, l’Union des Journalistes de Sport en France organisait, mercredi 3 mai, les premières assises des médias et du football professionnel. L’occasion pour les journalistes, les instances, les dirigeants de club, les communicants, les entraîneurs, les joueurs ou encore les agents de se rencontrer, de s’écouter et d’échanger autour de diverses tables rondes. L’objectif ? Dresser un constat sincère et (re)définir les conditions d’un nouveau cadre relationnel.

Par Josué Cassé
7 min.
Mattéo Guendouzi face à la presse. @Maxppp

«L’athlète a besoin du poète pour célébrer l’exploit», assurait Pindare. Constructifs, passionnés, parfois houleux - symbole de la scission tant redoutée mais bien réelle entre les différents acteurs - les échanges tenus, mercredi dernier, lors des premières assises des médias et du football professionnel avaient pour vocation de résorber progressivement la fracture observée entre médias et clubs au cours des dernières années. Nostalgique, ou non, du temps où le journaliste pénétrait au sein du vestiaire pour discuter avec joueurs et dirigeants, ce paradis perdu a finalement laissé place à une rupture prégnante où la distance ne cesse de croître. Un je t’aime moi non plus fragilisant alors, lentement mais sûrement, le storytelling des championnats français et empêchant, de surcroît, lecteurs et téléspectateurs de s’immerger dans un monde devenu inaccessible. Face au danger d’un repli sur soi irrémédiable et d’une méfiance - pour ne pas dire défiance - grandissante, ceux «qui font le football» se retrouvaient donc autour de diverses tables rondes.

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Paradis perdus, relations distendues, espoirs déchus ?

Organisée par l’Union des Journalistes de Sport en France (UJSF), travaillant en étroite collaboration avec la Ligue de Football Professionnel, cette journée passée dans l’enceinte lensoise (Bollaert-Delelis) visait ainsi à trouver les clés d’un renouveau, à l’heure où le dialogue entre clubs et médias s’effrite. De Paul Le Guen (ancien entraîneur de l’OL et du PSG) à Jérôme Belaygue (directeur de la communication de la LFP) en passant par Nicolas Parent (responsable de la communication au Lille OSC), Jimmy Cabot, Jean-Louis Leca (joueurs au RC Lens), Gervais Martel (ancien président du RC Lens, chroniqueur à L’Equipe du soir), Christophe Hutteau (agent de joueurs), Emmanuel Pionnier (directeur des sports à l’AFP), Jérôme Cazadieu (directeur des rédactions de L’Equipe), Dominique Sévérac (journaliste au Parisien), Vincent Duluc (UJSF / L’Equipe), Julien Crévelier (directeur communication et relations publiques à l’AS Monaco) ou encore Olivier Létang (président directeur général du Lille OSC), chacun a ainsi pu avancer ses arguments avec une ambition commune : (re)définir les conditions d’un nouveau cadre relationnel.

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Main dans la main, l’UJSF, représentée par son président Vincent Duluc, et la LFP, incarnée par la présence de son directeur de communication Jérôme Belaygue, ont ainsi posé les contours d’une relation médias-clubs dégradée. Partant du postulat que l’organisation mise en place les jours de match donnait, aujourd’hui, satisfaction, les deux entités ont ainsi axé leurs propos sur le feuilletonnage de la semaine. Comment raconter la L1 et la L2 à l’heure où les clubs ferment leurs portes, les communicants masquent l’échec et les médias affluent de toutes parts ? Comment réparer ce lien distendu au moment où le scepticisme des joueurs vis-à-vis des journalistes et de leurs intentions grimpent à vitesse grand V ? Quelles solutions peuvent être envisagées dans un contexte médiatique subissant de profondes mutations ? Autant de questions posées, discutées et déterminantes pour l’avenir du paysage footballistique. Invité à réagir sur cette distance exponentielle entre clubs et journalistes, Paul Le Guen, ancien coach du PSG, de l’OL, du Stade Rennais ou encore du Havre, symbolisait, à ce titre, la fracture existante entre ces deux milieux.

Quelles règles, pour qui et par qui ?

Gageure, à ses yeux, que de vouloir créer une storytelling autour de la semaine, l’ancien international français défendait alors l’intimité nécessaire pour le club, tout en précisant qu’il était, selon lui, plus intéressant de suivre la compétition en tant que telle plutôt que de raconter la vie des acteurs. Une méfiance du monde extérieur également présente, à moindre mesure, dans le discours de Jimmy Cabot, milieu droit des Sang et Or, insistant notamment sur l’ampleur prise par les réseaux sociaux et la vigilance que cela suscitait. Pour justifier ce rapport médias-clubs cassé, Nicolas Parent, responsable communication des Dogues, préférait quant à lui évoquer l’apparition du marketing et du sponsoring entraînant, dès lors, une augmentation des sollicitations et, de ce fait, un éclatement relationnel. Pour illustrer cela, le dirigeant lillois avouait, à ce titre, que les joueurs gardaient, aujourd’hui, un contrôle certain sur leurs apparitions face aux médias (nombre d’interventions défini à la semaine, préférence exprimée entre la zone mixte ou la conférence de presse, etc…). Une confidence qui n’a d’ailleurs pas manqué de faire réagir certains journalistes présents sur place.

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Frustré par la «bunkérisation» des clubs (bien que certains clubs tels que l’AS Monaco ou le Racing Club de Strasbourg, pour ne citer qu’eux, proposent aujourd’hui une ouverture certaine aux journalistes), Dominique Sévérac (Le Parisien) s’inquiétait, par ailleurs, de la prise de distance du football vis-à-vis des fans. Des propos proches de ceux tenus par Emmanuel Pionnier (AFP), choqué par le manque de cadre et insistant sur le fait que la Ligue de Football Professionnel devait rapidement mettre en place des règles communes (exemple de la F1 ou de la NBA qui obligent un passage en conférence de presse). Une vision également défendue par Gervais Martel, prônant des obligations pour le joueur, définies au sein de son contrat. Journalistes dépossédés, dirigeants méfiants, joueurs sceptiques, agents (trop) influents (l’exemple de Brice Samba qui n’avait parlé qu’à L’Equipe après avoir été appelé chez les Bleus car son représentant en avait décidé ainsi), comment alors retrouver une situation apaisée et bénéfique pour l’ensemble des acteurs ? Beaucoup s’entendent à dire que cela passera par les clubs, employeurs des joueurs. Des règles nécessitant malgré tout quelques concessions pour les différentes parties. Et pour cause.

Quels rendez-vous pour demain ? Les pistes pour mieux travailler ensemble !

Si l’ambition est bien de codifier le feuilleton de la semaine en L1 et L2, chacun devra être en mesure de respecter son interlocuteur pour redéfinir positivement les contours de cette relation. À ce titre, le club continue de demander une sacralisation de sa sphère au journaliste. Ce dernier aspire, de son côté, à plus d’ouverture afin de raconter le football (projet de jeu des entraîneurs). Un lien difficilement atteignable tant les enjeux propres à ces deux milieux restent aux antipodes. Pour réinstaurer une relation de confiance entre les joueurs, clubs et médias, cela devra notamment passer par une communication différenciée. Dans cette optique, Benjamin Guthleben, directeur marketing et communication du RC Strasbourg, rappelait notamment que la conférence de presse se devait de rester un endroit pour échanger sur autre chose que la polémique et ainsi opposer le journaliste de l’intervenant sur les réseaux sociaux. De son côté, Maxime Brigand, travaillant actuellement au sein de la rédaction So Foot, rappelait la nécessité d’une démystification : celle où le journaliste est considéré comme un ennemi, toujours à la recherche du buzz.

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Partant d’un constat accablant et soumettant l’idée de règles à imposer, les premières assises des médias et du football professionnel proposaient, finalement, des solutions d’avenir pour ainsi retrouver une certaine proximité entre les divers acteurs. Trois axes d’ailleurs validés par Franck Haise, entraîneur lensois, sous certaines conditions :

1) Un entraînement complet ouvert par semaine (Franck Haise valide s’il a le choix de l’entraînement et si ça permet de discuter plus du jeu).

2) Une zone mixte par mois en semaine avec un joueur qui s’arrête pour discuter 5/10 minutes avec la presse (possible notamment sur le jour où l’entraînement est ouvert mais concentrer les questions sur le jeu et non sur les polémiques ou autres).

3) Deux «Media Day» par an.

Après les mots vient le temps des actes. Dans cette optique, l’UJSF et la LFP souhaitent, aujourd’hui, poursuivre leur collaboration jusqu’à la table des négociations. Celle où se décidera, concrètement, la nature des échanges futurs entre clubs et médias. Par la pédagogie, l’écoute, le sens de la responsabilité et pour le bien des intérêts communs (suiveurs), chacun souhaite, quoi qu’il en soit, retrouver ce lien humain. L’ambition est grande. Le défi est immense. Le chantier, nécessaire.

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