À lire Ligue 1

Intermédiaires, rétrocommissions, circulaire FIFA : ce qu’il faut savoir

Par La Rédaction FM
9 min.
Le transfert de Gignac interpelle les enquêteurs @Maxppp

Dans le viseur des enquêteurs, certains transferts opérés par l'Olympique de Marseille ces dernières années posent question. Une affaire lourde, qui soulève bien des débats, mettant en lumière l'opacité qui règne autour des transactions financières inhérentes à un transfert, entre intervenants peu scrupuleux et rétrocommissions répréhensibles.

C'est une affaire qui fait grand bruit. Depuis mardi matin, les dirigeants de l'Olympique de Marseille sont dans l’œil du cyclone, Vincent Labrune, Philippe Pérez, Jean-Claude Dassier, Pape Diouf, ou bien encore Antoine Veyrat ayant été placés en garde à vue plusieurs heures avant d'être relâchés petit-à-petit. En cause, des soupçons des enquêteurs concernant des rétrocommissions au bénéfice d’intermédiaires dans le cadre de nombreux transferts (André-Pierre Gignac de Toulouse à l'OM en 2010, Morgan Amalfitano de Lorient à l'OM en 2011, Souleymane Diawara de Bordeaux à l'OM en 2009) effectués dans la cité phocéenne. Le mot rétrocommission revient avec insistance aujourd'hui, mais quelle en est la signification exacte ?

La suite après cette publicité

Contacté par nos soins, l'avocat mandataire de sportifs (Barreau de Paris) Badou Sambague, membre de l'Association Internationale des Avocats du Football, apporte son éclairage : « Une rétrocommission, pratique illégale, consiste pour le club acheteur à offrir plus (d’argent) que nécessaire, pour ensuite récupérer à son profit de la part de l'intermédiaire une partie des sommes engagées. Concrètement, il peut s’agir de la part d’un dirigeant de club d’acheter un joueur au prix de 30 millions d’euros au lieu de 20 millions d’euros afin d’en récupérer une partie grâce à un intermédiaire ou agent de joueurs avec qui il entretient une relation particulière ». Alors en clair, qui devrait toucher quoi dans un transfert pour que celui-ci soit totalement valable et transparent ?

À lire OM - OGC Nice : l’arbitrage au centre de toutes les polémiques

« En principe, le transfert d’un joueur se fait de club à club (un club vendeur et un club acheteur). Le club acheteur récupère le joueur dans son effectif et le club vendeur reçoit en contrepartie le montant du transfert. Le joueur quant à lui perçoit son salaire, éventuellement une prime à la signature et des avantages en nature (véhicule…). L’agent de joueurs, lorsqu’il représente le joueur, perçoit quant à lui une rémunération égale à 10% du salaire brut perçu par le joueur (prime de signature comprise). Cette rémunération est versée par le club ou le joueur selon les cas. Lorsque l’agent dispose d’un mandat de vente, cela veut dire que le club vendeur lui a donné mandat pour trouver un nouveau club pour un joueur de son effectif. L’agent est alors rémunéré par le club au pourcentage sur le prix du transfert », insiste Badou Sambague.

La suite après cette publicité

Les rétrocommissions peuvent se payer très cher...

Mais comme vu plus haut, les choses ne sont visiblement pas si simples dans les faits, et des rétrocommissions peuvent être versées. Une pratique frauduleuse qui se paie au prix fort, comme nous l'explique Redouane Mahrach, avocat du cabinet RMS, spécialisé dans le droit du Sport : « S’agissant de rétrocommissions, c'est-à-dire un intéressement financier personnel des dirigeants sur le transfert d’un joueur, l’infraction d'abus de bien social voire d’abus de confiance pourrait être constituée et entraîner la condamnation du dirigeant fautif. La sanction est plafonnée à 5 ans d’emprisonnement et 375 000€ d’amende. À cela pourra s’ajouter le remboursement au club des sommes illégalement perçues ainsi que des sanctions complémentaires telles que l’interdiction de diriger une entreprise… L’agent, quant à lui, pourra être reconnu coupable de complicité de ces infractions et être interdit d’exercice de la profession. Par ailleurs, les dirigeants de clubs, en tant qu’officiels au sens de la réglementation du football, sont soumis au code disciplinaire de la FFF et peuvent être sanctionnés d’une suspension voire d’une radiation à vie dans les cas les plus graves ».

La suite après cette publicité
Schéma simplifié des rétro-commissions

Autant le dire, cette infraction est tout sauf anodine, et peut déboucher sur des sanctions pour le moins fortes. Mais l'affaire qui fait grand bruit sur la Canebière met également en lumière un autre problème, à savoir celui des intermédiaires intervenant dans les transferts de joueurs. Agent FIFA licencié de la Fédération Française de Football, Bernard Collignon vous décrit ce qu'est concrètement un intermédiaire : « Pour schématiser, un intermédiaire est comme un basketteur qui attend que le ballon soit jeté dans le panier pour venir au rebond. Ils sont là, toi, tu as le joueur depuis un certain nombre d'années, et au moment de cueillir le fruit, quelqu'un vient pour rentrer dans le dossier. C'est déstabilisant pour le joueur, car ils lui font croire qu'ils vont permettre la réalisation du transfert. Si un joueur n'est pas fort mentalement, il se fait influencer. Un club ne devrait pas accepter qu'un intermédiaire entre dans un dossier, à moins que ce soit un agent licencié mandaté par le club. Là, ces intermédiaires n'ont aucun document, ça fait désordre, car on ne sait plus qui fait quoi ».

Les drôles de pratiques des intermédiaires non licenciés

L'agent est bien placé pour s'exprimer sur le thème des intermédiaires, lui qui a dû faire face à un drôle d'épisode cet été, au moment de discuter du transfert de l'un des ses protégés : « Je prends l'exemple de Christian Bekamenga (NDLR : 3e meilleur buteur de L2 l'an passé avec 18 buts). Je reçois l'offre du Club Africain de Tunis, par le directeur sportif Montasser Louhichi. Il m'envoie l'offre, on est en pourparlers, et un mec appelle soudainement Christian pour lui dire qu'il est proche de Montasser et qu'il doit venir avec lui pour que le transfert se fasse. Moi, je suis parti avec le joueur là-bas le 5 août, on est revenu ensuite de Tunis pour réfléchir à l'offre. Et je finis par apprendre le 28 août que le joueur passe la visite médicale. Ces gens ont réussi à entrer dans le dossier, car le joueur n'a pas su rester fort, et au final le deal a échoué (l'attaquant est resté à Laval) car j'ai appelé tout ce beau monde pour dire aux personnes concernées que ça ne pouvait pas se passer comme ça ».

Avec 70% des transferts mondiaux réalisés par des agents qui ne sont pas en règle, et qui ne sont donc légalement pas en mesure d'exercer car ne disposant pas de licence délivrée par une Fédération comme prévu pourtant par le Code du Sport (article L222-7), le problème est donc colossal. Comment les clubs peuvent-ils démêler le vrai du faux et s'entourer des agents compétents ? Vincent Labrune dévoilait il y a peu son désarroi face à ce milieu, chose que Bernard Collignon a du mal à comprendre : « C'est inévitable qu'il y ait ce genre d'affaires, tant que les clubs ne travaillent pas qu'avec des agents licenciés. Ce qui se passe à Marseille ne me surprend pas. On parle du milieu qui cherche à faire des affaires auprès de l'OM. Est-ce vrai ou est-ce un fantasme ? Toujours est-il que s'il y a eu des gardes à vue, c'est que les enquêteurs ont estimé qu'il y avait matière à creuser. Mais qu'un président de club dise qu'il ne sait pas si un agent est licencié ou non, c'est assez étonnant. Il suffit de vérifier, la FFF a fait en sorte que tous les agents soient répertoriés, on sait qui est licencié ou non sur les sites de la FFF ou de la FIFA. Dire qu'on ne sait pas, c'est assez extraordinaire ».

La suite après cette publicité

La circulaire FIFA, une fausse bonne idée ?

La FIFA qui, d'ailleurs, semble avoir du mal à contenir ce phénomène. Alors, pour tenter de remédier à ce problème, l'instance mondiale s'apprête à rayer purement et simplement de la carte la notion d'agents et ce, dès avril 2015 (cela ne sera néanmoins pas effectif en France, une licence étant toujours obligatoire). En clair, toute personne pourra exercer comme intermédiaire sportif sur simple déclaration à la Fédération. Une initiative diversement appréciée dans le monde du ballon rond, d'aucuns prédisant alors un grand flou artistique : « La circulaire FIFA voudrait que l'accès à la profession se fasse sur une simple déclaration d'intermédiaire à la Fédération nationale concernée. Auquel cas, n'importe quel boulanger, banquier, ou encore journaliste pourrait officier en tant qu'agent/intermédiaire. Nous échangeons régulièrement avec de nombreux acteurs du monde du football et personne ne comprend les intentions de la FIFA au travers de cette circulaire », s'inquiète ainsi déjà Sidney Broutinovski, Fondateur & Directeur Général de l'École des Agents de Joueurs de Football.

Si la FIFA va donc évoluer, la France doit-elle se calquer sur le modèle de l'instance planétaire ? « Si la France souhaite évoluer dans le sens de la FIFA, il faut changer la loi, ce qui est loin d’être gagné. Je ne pense pas qu’il faille évoluer dans le sens de la FIFA uniquement parce que beaucoup d’individus exercent sans licence. Ce n’est pas parce qu’il existe des voleurs qu’il faut légaliser le vol. Je forme un certain nombre de futurs agents au sein de l’EAJF (École des Agents de Joueurs de Football). Qui est dans son droit ? Ces futurs licenciés ou les intermédiaires qui exercent sans licence et en toute impunité ? Il est du devoir de chacun (FFF, clubs, joueurs et agents de joueurs) de travailler avec les personnes qui respectent les dispositions légales et sanctionner les personnes qui ne les respectent pas », souligne l'avocat mandataire de sportifs Badou Sambague, invitant néanmoins la France à prendre exemple sur le modèle anglais en termes de rémunération des agents, dans un souci de transparence :

« En Angleterre, il existe au sein de la FA une caisse pécuniaire des agents de joueurs. Ce système permet de faire transiter toutes les rémunérations des intermédiaires par la Fédération. La Fédération sait d’où vient et où va la rémunération. J’invite naturellement les instances françaises à étudier ce qu’il se passe outre-Manche ». Des agents qui ont conscience que des progrès peuvent être faits, et qui en appellent à la FFF, à l'image de Bernard Collignon : « On fait confiance à la FFF pour faire que les choses se passent mieux, et que la licence soit encore plus difficile à obtenir. Je n'ai rien contre ceux qui n'ont pas de licences, car certains peuvent travailler mieux que des agents licenciés, mais il faut rechercher la compétence. Une personne compétente ne fera pas n'importe quoi. L'agent qui va passer son examen à la FFF prouvera qu'il a un minimum de compétences. Mettre fin aux licences serait catastrophique, ce serait la foire. Je dirais qu'il faudrait même que les agents licenciés passent des examens de temps en temps, pour s'assurer d'une certaine remise à niveau ». Oui, tout le monde est concerné.

Plus d'infos sur...

La suite après cette publicité

Fil info

La suite après cette publicité