Cascade de blessures dans le football professionnel, court-on à la catastrophe ? @Maxppp

Cascade de blessures dans le football professionnel, court-on à la catastrophe ?

Par Frederic Yang - 03/11/2020 - 14:01

Après deux mois de compétition, le nombre particulièrement élevé de joueurs blessés dans les différents championnats européens inquiète. Le calendrier surchargé en raison de la pandémie de coronavirus est évidemment pointé du doigt mais que faut-il faire pour éviter une hécatombe ?

« On demande trop aux joueurs. Plus que ce qu’ils ne peuvent en faire. Ce n’est pas compliqué à comprendre ! On a interrompu la saison dernière, puis on a repris, puis on a démarré cette saison après deux semaines de repos. Je demande le maximum à mes joueurs, mais il y a une limite pour des êtres humains. On peut lutter pour une ou deux compétitions. Ce n’est pas un problème. On survivra. Mais on joue tous les 3 jours, et maintenant quand les joueurs rejoignent leur sélection, ils jouent trois matches contre deux avant. Ils voyagent beaucoup, ils reviennent, ils enchaînent la Premier League et la Ligue des champions, la Carabao Cup et tout le reste. Nous n’avons pas eu assez de préparation pour gérer tout ça. »

Il y a quelques jours, Pep Guardiola exprimait son ras-le-bol mais aussi l’incompréhension de beaucoup d’entraîneurs professionnels à propos du calendrier infernal de la saison 2020-2021. Après deux mois de compétitions, les blessures musculaires en Premier League ont connu une croissance de 42% en comparaison avec la saison précédente au même stade de compétition. Actuellement 87 joueurs de Premier League sont blessés, dont 8 pour le seul club de Crystal Palace.

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Manque de préparation, de récupération et surcharge physique et mentale

Avant le début de la nouvelle saison, de nombreux spécialistes et entraîneurs avaient anticipé une saison particulièrement délicate en termes de blessure compte tenu du rush de la fin de saison précédente, de la trêve écourtée et de la pré-saison raccourcie au maximum avant la reprise de la compétition. « Quand j’ai vu la finale de la FA Cup 2020 et que j’ai vu deux blessures aux ischio-jambiers après 60 minutes. Je me suis dit: “Wow, on n’aura pas de répit cette saison… Il va y avoir de nombreuses blessures". Je vais devoir être très vigilant et garder mes yeux bien ouverts pendant les entraînements pour prévenir les blessures avant qu’elles n’arrivent" », racontait Neil Warnock, l’entraîneur de Middlesbrough à The Athletic.

De son côté, le préparateur physique Fabien Richard, que nous avions interrogé fin juillet, nous avait d’ailleurs prévenu des risques de blessures qu’encouraient les joueurs du PSG et de l’OL après le Final 8 de Ligue des champions. Il nous expliquait : « il faudra se méfier de l’après-Ligue des champions puisque ces deux équipes reprendront dans la foulée le championnat de France. Il faudra donc que les staffs soient particulièrement vigilants en septembre, octobre et surtout en novembre/décembre avec justement le changement de température et le passage à des pelouses plus grasses. C’est généralement à ce moment-là que les organismes sifflent. »

Il faut savoir que pour bien préparer les organismes à une longue saison, les préparateurs physiques concoctent généralement un programme de six semaines avant le début des compétitions officielles. Pour la majorité d’entre eux, ce programme a été réduit de trois semaines en raison de la courte trêve et de la reprise immédiate de la saison 2020/2021. D’autres équipes moins chanceuses n’ont même pas eu ces trois semaines pour préparer les joueurs et ont dû aborder la compétition avec une préparation physique inexistante et/ou fortement perturbée par des cas de Covid-19. Ce manque de préparation physique est clairement un facteur qui explique ces blessures accrues comme l’usure mentale, déjà évoquée en longueur sur le site.

Le business au détriment de la santé des joueurs ?

Malgré la multiplication de graves blessures comme celles de Dante ou Juan Bernat sur des actions anodines, ni l’UEFA, ni les fédérations, ni les différentes ligues professionnelles de football ne comptent alléger le calendrier pour des raisons économiques (sponsors, droits TV). « C’est un problème pour tous les clubs, tous les pays. Je l’ai dit plusieurs fois, personne ne se soucie des joueurs. Ce n’est que du business », avait lâché Pep Guardiola en septembre. José Mourinho avait également livré le fond de sa pensée après un road trip démentiel pour Tottenham de quatre matches à l’extérieur en une semaine, dont un en Bulgarie et un en Macédoine: « les gens qui prennent les décisions ont oublié dans quelle situation nous sommes. Ce n’est pas possible autrement. C’est une blague ! »

Le site The Athletic avait publié une photo (voir ci-dessus) avec le nombre de matches potentiels que pourrait disputer Harry Kane lors de cette saison 2020-2021 entre Tottenham et la sélection anglaise. Et le résultat était sans appel avec 85 matches dont 78 matches potentiels avant l’Euro 2021 ! Des chiffres ahurissants qui interpellent et qui nécessitent évidemment une adaptation du côté des entraîneurs.

Faire des choix et prendre ses responsabilités

« On devrait avoir cinq changements, pas trois. Mais je ne pense plus que ce soit possible, à cause du système », s’est récemment exprimé Jürgen Klopp, agacé que la Premier League ait retiré l’autorisation de faire cinq changements en championnat. Et d’y ajouter : « pour moi, c'est un manque de leadership de Richard Masters (directeur général de la Premier League, ndlr). Aucun des sept meilleurs clubs n'a demandé un avantage, mais pour avoir les meilleurs matchs le week-end en Premier League, disposer de cinq changements aurait également aidé et je pense que nous devrions y réfléchir à nouveau. »

Vu qu’il est improbable que les instances du foot, les fédérations et les ligues professionnelles allègent le calendrier en raison des différents enjeux économiques, le seul recours pour protéger les joueurs c’est le turnover. Même si personne ne l’a encore revendiqué clairement, les entraîneurs seront contraints de faire des choix. Comprenez choisir des matches spécifiques où les cadres seront au repos quitte à atténuer leurs chances dans certaines compétitions. « On réalise plus d’analyses chiffrées. On mesure les efforts des joueurs à chaque entraînement avec des GPS et ces données sont précieuses. Car si vous demandez à un joueur si ça va, il vous dira toujours oui et il voudra toujours jouer. Donc ce sera au staff de dire “écoute, on est obligé de ne pas te faire jouer. Tu dois te reposer mardi pour pouvoir jouer samedi », expliquait Mark Cooper, entraîneur du Forest Green Rovers F.C., pensionnaire de League Two, pour The Athletic.

Pour Thomas Tuchel, dont plusieurs cadres sont actuellement blessés, cette situation demeure alarmante : « on va tuer les joueurs. On n'a pas de phase pour récupérer, pas suffisamment de temps pour préparer. Sans préparation, tout est fragile. Ce n'est pas une excuse, c'est la vérité. À chaque match, on perd un joueur en ce moment. Et pas seulement nous, on peut regarder Liverpool, le Bayern, City... Si on continue comme ça, il n'y aura plus de joueurs disponibles.» Jusqu’à quand les instances du football attendront-elles avant de réagir ? Jusqu'où placeront-elles le baromètre avant de tirer la sonnette d’alarme ? L’Euro 2021 qui se profile en fin de saison pourrait vraiment avoir une autre saveur si jamais les meilleurs joueurs du continent étaient absents pour cause de blessures. Et dans ce scénario, tout le monde serait perdant. Tout le monde.

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