Ligue des Champions

Ligue des Champions : l’incroyable histoire politique derrière le Páfos FC

Le Pafos FC n’est pas qu’un club de football : il est l’héritier d’une mémoire politique et nationale. Née de la fusion de clubs locaux et de la figure emblématique d’Evagoras Pallikarides, héros de la lutte anticoloniale, l’équipe incarne l’identité hellénique de la région et perpétue une mémoire historique profondément enracinée dans la ville et sa population.

Par Valentin Feuillette
7 min.
Pafos @Maxppp

À première vue, Olympiakos – Pafos n’est qu’un simple affrontement de Ligue des champions. Mais derrière les crampons et les chants, ce duel raconte une histoire beaucoup plus vaste : celle des liens tissés entre la Grèce et Chypre. D’un côté, le club du Pirée incarne la puissance historique du football grec, sa place dans le commerce maritime et son rôle de vitrine du pays. De l’autre, Pafos FC symbolise une Chypre moderne, tournée vers le tourisme et l’Europe, mais dont l’identité reste profondément enracinée dans l’hellénisme. Cette rencontre renvoie à un imaginaire partagé : langue, religion, mythes antiques, mais aussi luttes communes et divergences politiques. Dans les tribunes comme sur les réseaux sociaux, supporters grecs et chypriotes affichent à la fois une fraternité culturelle et des rivalités sportives, révélant l’épaisseur historique de cette Méditerranée orientale. C’est ce terrain fertile – entre passé et présent, entre unité et différenciation – qui fait de ce match bien plus qu’un événement sportif.

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Car derrière chaque club se cache aussi une histoire politique et sociale, où le football devient un instrument de représentation et de diplomatie douce. Olympiakos est depuis toujours une institution du Pirée, un port stratégique qui a projeté l’influence grecque dans le monde. Pafos FC, lui, est né d’un projet d’unification locale et d’une mémoire anticoloniale qui fait écho à la question chypriote. Ces deux équipes incarnent à leur façon des pôles économiques et culturels méditerranéens, et leur confrontation en Coupe d’Europe agit comme une scène où se rejouent migrations de joueurs, diasporas helléniques, réseaux de supporters et héritages mythologiques. Le nom même d’Olympiakos convoque l’idéal antique, celui de Pafos rappelle Aphrodite et les héros chypriotes. Tout concourt à faire de ce match un prisme unique pour comprendre comment le football, au-delà du spectacle, peut exprimer une identité et une mémoire collective.

Des racines dans la lutte anticoloniale à la mémoire d’Evagoras Pallikarides

Le Pafos FC est un club très récent mais au passé déjà profondément politique et communautaire. Il naît officiellement en 2014 de la fusion entre l’AE Kouklion et l’AEP Paphos – deux clubs eux-mêmes héritiers d’une longue tradition locale. L’AEP Paphos, fondée par la réunion de l’APO Paphos et de l’Evagoras Paphos, représentait l’âme sportive et populaire de la ville, mais croulait sous les dettes et les retraits de points. L’AE Kouklion, elle, incarnait le dynamisme sportif d’un village voisin ayant brièvement goûté à l’élite chypriote. La fusion avait un but : donner à toute la région de Paphos un club unique, financièrement sain et capable de rivaliser avec les grandes équipes du pays. C’est aussi un projet symbolique de cohésion territoriale dans une île marquée par les divisions, où le football est souvent le vecteur d’une identité collective. L’histoire du Pafos FC ne peut se comprendre sans évoquer Evagoras Pallikarides, figure héroïque de la résistance chypriote à la domination britannique. Ce jeune militant de l’EOKA, exécuté en 1957 à seulement 19 ans, est devenu un symbole national. Le club Evagoras Paphos, fondé après l’indépendance, portait son nom et son image – et cette mémoire s’est transmise jusqu’au badge actuel du Pafos FC, où figure son visage stylisé. En choisissant d’hériter de cette identité, Pafos FC ne se contente pas d’être un club de football : il perpétue la mémoire d’un combat anticolonial, d’un nationalisme chypriote pro-hellénique et d’une histoire douloureuse qui continue d’imprégner la culture politique locale. Dans un pays où le sport a souvent servi de caisse de résonance aux débats sur l’unité et l’indépendance, ce symbole est fort. Au-delà du terrain, Pafos FC joue un rôle culturel et social majeur pour la région.

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Sa création fut validée lors d’assemblées publiques et s’est accompagnée du soutien des autorités locales et de personnalités politiques, signe d’un club pensé comme une institution collective. Depuis, il attire à la fois les descendants des supporters de l’AEP et ceux de l’AE Kouklion, unifiant différentes communautés autour d’une identité sportive commune. La ville de Paphos, ancienne capitale hellénistique et carrefour méditerranéen, trouve dans ce club un outil de rayonnement européen – d’autant plus à travers des campagnes continentales comme la Ligue des champions. «Au Pafos FC, notre mission est d’atteindre l’excellence sur et en dehors du terrain. Nous nous engageons à soutenir les talents locaux, à promouvoir l’esprit sportif et à offrir à nos supporters une expérience de match stimulante et inclusive. Nous nous efforçons d’être un pilier de notre communauté, en favorisant un sentiment d’unité et de fierté parmi nos supporters. Notre ambition est de devenir l’un des clubs de football leaders de Chypre, évoluant au plus haut niveau dans les compétitions nationales et internationales. Nous nous engageons à assurer une croissance durable, à favoriser le développement professionnel et à avoir un impact positif sur notre communauté grâce au football», pouvons-nous lire placardé sur leur site officiel. Cette dimension culturelle se traduit par des tribunes où se mêlent drapeaux chypriotes et grecs, chants en grec et en anglais, et un discours officiel qui insiste sur l’ouverture internationale tout en revendiquant un ancrage fort dans l’histoire et la mémoire locale.

Une grosse activité locale

Le Pafos FC ne se limite pas à un rôle sportif puisqu’il est devenu un véritable acteur social et éducatif dans tout l’ouest chypriote. Le club insiste depuis sa création sur son ancrage dans la ville et la région de Paphos, cherchant à fédérer une population très diverse, des villages côtiers aux zones touristiques, autour d’une identité commune. Cette démarche a pris une ampleur nouvelle avec le lancement d’initiatives sociales à grande échelle. En 2025, avec l’appui de son propriétaire Sergey Lomakin et du LF Group, le club a ainsi lancé un programme massif à destination des jeunes de la région. Plus de 20 000 t-shirts ont été distribués dans les écoles, académies et associations locales, avec l’ambition de renforcer le lien entre la jeunesse et le club et de promouvoir la pratique sportive. La première étape s’est tenue au club de water-polo qui porte d’ailleurs aussi le nom d’Evagoras Pallikarides, haut lieu symbolique de la mémoire locale, en présence de la star brésilienne David Luiz, défenseur du Pafos FC, venu lui-même remettre les premiers maillots et échanger avec les enfants. Au-delà du terrain sportif et des actions sociales, le Pafos FC joue aussi un rôle économique croissant pour la ville et sa région. La montée en puissance du club dans le championnat chypriote et ses apparitions sur la scène européenne attirent un public plus large, stimulant le tourisme sportif et la fréquentation des infrastructures locales. Les jours de match, hôtels, restaurants et commerces du centre-ville bénéficient d’un surcroît d’activité, avec des supporters venus d’autres villes chypriotes ou de l’étranger. Cette dynamique traduit la volonté du Pafos FC de devenir un pilier culturel et social du district, au-delà de la compétition. Les dirigeants ont présenté cette campagne comme un volet clé de leur stratégie de responsabilité sociale, insistant sur l’éducation, l’inclusion et la transmission d’un esprit communautaire.

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En multipliant les événements – séances de signatures, visites de joueurs dans les écoles, partenariats avec des clubs amateurs – Pafos FC se positionne comme un catalyseur du sport régional et un vecteur de fierté collective. Dans une région longtemps perçue comme périphérique par rapport à Nicosie ou Limassol, le club offre une visibilité internationale et crée un sentiment d’appartenance fort, où se mélangent mémoire historique, identité hellénique et ouverture cosmopolite. Cette politique sociale est devenue l’un des piliers de sa légitimité locale et explique en grande partie l’enthousiasme qui entoure aujourd’hui ses matches européens. Dans une région historiquement dépendante du tourisme balnéaire et culturel, le football constitue désormais un levier de diversification et de prolongement de la saison touristique hors été. L’investissement des propriétaires et des sponsors a également permis d’améliorer les infrastructures sportives et de créer des emplois directs et indirects. La modernisation du stade Stelios Kyriakides, l’entretien des terrains d’entraînement et la multiplication des académies pour jeunes ont généré des opportunités pour entraîneurs, personnels techniques et prestataires locaux. Le club travaille aussi avec la municipalité pour développer des programmes de formation et d’accueil d’événements sportifs internationaux, renforçant ainsi la place de Paphos sur la carte européenne du football. Ces retombées économiques, combinées à la politique sociale, font du Pafos FC un acteur à part entière du développement local – à la fois vitrine et moteur d’une région en quête de reconnaissance et de cohésion autour de son club.

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