Exclu FM

Pourquoi la Super League ne doit pas crier victoire

Par Josué Cassé
11 min.
Pourquoi la Super League ne doit pas crier victoire @Maxppp

Avec force, le spectre de la Super League est réapparu ce jeudi après une décision de la Cour de justice de l’Union européenne, estimant que les règles de la FIFA et de l’UEFA sur l’autorisation préalable des compétitions de football interclubs violaient le droit de l’Union. De quoi dérouler le tapis rouge à cette nouvelle compétition portée par A22 Sports et défendue par le FC Barcelone ou encore le Real Madrid ? Rien est moins sûr, en témoigne l’analyse faite par William Martucci, directeur des opérations de l’Union des clubs européens.

La lecture d’un arrêt n’est jamais chose aisée. Demandez plutôt aux étudiants en droit, rêveurs à l’idée d’emprunter une carrière d’avocat et rapidement sonnés par le résultat de leurs premiers partiels. Demandez également aux juristes installés dans le milieu, parfois eux-mêmes en désaccord au moment d’interpréter les textes. Demandez, enfin, aux observateurs les moins aguerris, prêts à tirer de grandes conséquences d’un verdict finalement bien plus complexe qu’il n’y paraît. Ce jeudi, la décision rendue par la Cour de Justice de l’Union européenne dans l’affaire C-333/21 concernant les règles de la FIFA et de l’UEFA sur l’autorisation préalable des compétitions de football interclubs, telle que la Super League, en a d’ailleurs été l’exemple parfait. Rapidement, la presse mondiale s’est emparée du communiqué de presse publié par la plus haute juridiction de l’UE, prononçant une victoire totale de la Super League et un terrible camouflet pour l’UEFA et la FIFA. Une conclusion pourtant très éloignée de la réalité…

La suite après cette publicité

Le verdict de la CJUE, un arrêt complexe à analyser !

«Le communiqué de presse de la CJUE était en réalité assez trompeur et si tu n’avais pas révisé le sujet, tu pouvais rapidement te faire piéger. J’ai été assez surpris du traitement médiatique fait autour de ce verdict rendu. Il faut aussi dire que le communiqué de presse publié par la CJUE est plutôt complexe. Le juge valide le titre et le contenu de ce communiqué donc ils ont quand même voulu taper sur l’UEFA, ils ont voulu envoyer ce message, ils ont choisi leurs mots en parlant notamment d’abus de position dominante pour l’UEFA, tout ça est dit précisément, mais il faut rappeler que le jugement portait sur les critères d’autorisation de l’UEFA en 2021 et que la Cour ne se préoccupait pas des nouvelles règles écrites en 2022», nous confiait tout d’abord William Martucci, directeur des opérations de l’Union des clubs européens. Dès lors, si la Cour de justice de l’Union européenne a estimé que les règles imposées par la FIFA et l’UEFA au sujet des créations de compétitions, comme la Super League, seraient contraires au droit de l’Union européenne, elle n’a en revanche jamais donné d’avis sur le cas spécifique du projet porté par la société A22 Sports et son CEO, Bernd Reichart.

À lire LdC : Jude Bellingham a voulu déstabiliser Harry Kane

«Une compétition telle que le projet de Super League ne doit pas pour autant être nécessairement autorisée. En effet, la Cour étant interrogée, de façon générale, sur les règles de la FIFA et de l’UEFA, elle ne prend pas position dans son arrêt, sur ce projet spécifique», pouvait-on lire en ce sens. «La Cour s’est prononcée sur les règles de 2021, pas celles de 2022 et c’est bien sûr ça qu’elle s’est prononcé. Le procès portait sur les sanctions. En réaction aux sanctions, certains clubs ont porté plainte, d’abord à Madrid puis l’affaire est montée jusqu’à la Cour de Justice de l’Union européenne, ce sont les sanctions de l’UEFA qui ont été déclarées illégales parce qu’en 2021, il a été jugé que leurs règles n’étaient pas assez claires», poursuivait l’un des instigateurs de l’association créée dans le but de défendre les intérêts des petits clubs du Vieux Continent avant d’ajouter : «en 2021, les règles de l’UEFA n’étaient pas compatibles avec les sanctions prononcées vis-à-vis de la Super League, mais depuis les règles ont été changées, en 2022, et surtout l’UEFA peut encore les changer dans le futur si l’instance le souhaite et ainsi se mettre, à nouveau, dans une position de sanctionner. Résultat, non ce n’est pas une victoire totale de la Super League, c’est à minima mitigé et pire encore, cet arrêt pourrait aussi être interprété comme un succès pour l’UEFA».

La suite après cette publicité

La Super League face à ses angoisses originelles !

Un constat contrastant largement avec les messages jubilatoires rapidement diffusés par les directions madrilènes et catalanes, à l’origine de ce projet révolutionnaire. «Le FC Barcelone souhaite exprimer sa satisfaction quant à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) approuvant le projet de Super League proposé par A22 Sports. En tant que l’une des forces motrices de la Super League, le FC Barcelone considère que cet arrêt ouvre la voie à une nouvelle compétition de football de haut niveau en Europe en exprimant son opposition au monopole dans le monde du football, et souhaite offrir une proposition de dialogue sur ce que devrait être le modèle de la compétition européenne de l’avenir», communiquait ainsi le club barcelonais. «Nous nous félicitons vivement de l’arrêt de la CJUE. Dans les prochains jours, nous examinerons de plus près la portée de cet arrêt, qui revêt une grande importance historique. Le football européen ne sera jamais un monopole et, à partir d’aujourd’hui, les clubs seront maîtres de leur destin. Nous nous considérons comme capables de promouvoir les compétitions que nous envisageons. L’Europe des libertés a triomphé. Le droit, la raison et la liberté ont prévalu», lançait, de son côté, Florentino Pérez, président des Merengues.

Dès lors si les déclarations faites par les deux historiques défenseurs de la Super League n’ont rien de surprenant, elles répondent davantage à une stratégie de communication dans un contexte où l’UEFA et la FIFA ont, malgré tout, été rappelées à l’ordre par la Cour de Justice de l’Union européenne. Suffisant toutefois pour voir cette compétition dissidente voir le jour dans les semaines à venir ? Rien n’est moins sûr. Alors, certes, A22 Sports n’a pas tardé à dévoiler les contours de sa nouvelle formule : une compétition à 64 clubs répartis en trois ligues (la Star League, la Gold League et la Blue League), une participation fondée sur le mérite sportif et une diffusion gratuite via une plateforme de streaming dédiée baptisée Unify… Pour autant, les limites autour de ce projet mort-né en 2021 demeurent nombreuses. «Commercialement il n’y aura peut-être pas de marché, car peu de clubs semblent, aujourd’hui, prêts à rejoindre cette Super League donc les questions juridiques n’auront alors plus de raisons d’être posées», rappelait, à ce titre, William Martucci. Et pour cause. À l’instar du scénario vécu il y a désormais plus de deux ans et demi, les promoteurs de cette nouvelle version - plus ouverte et qui semble satisfaire les dirigeants du Napoli - se confrontent, une fois de plus, à la grogne des supporters et à l’opposition de nombreuses associations (ECA, UEC) et clubs européens.

La suite après cette publicité

L’UEFA peut encore agir…

Du Paris Saint-Germain à Manchester City en passant par l’AS Roma, l’Atlético de Madrid ou encore le Bayern Munich, une nouvelle fronde massive s’organise, aujourd’hui, pour réduire à néant la Super League. Si l’arrêt de la CJUE ne peut, en effet, être interprété comme une victoire totale pour les partisans de cette nouvelle compétition, que l’UEFA dispose encore d’une marge de manœuvre pour enrayer le projet et que l’Europe du football exprime son désaccord, l’instance présidée par Aleksander Čeferin se retrouve, malgré tout, face à ses responsabilités. «J’ai plutôt tendance à lire cet arrêt comme une bonne nouvelle pour le football et l’UEFA, car elle peut encore bloquer le projet, mais peut seulement donc ça veut aussi dire qu’elle risque de devoir s’adapter. Aleksander Čeferin est d’ailleurs revenu sur ces nouvelles règles de 2022, celles sur lesquelles la Cour n’a pas pu se prononcer, en disant qu’elles étaient très bien, mais il a aussi avoué qu’ils allaient se repencher dessus avec leurs juristes suite au verdict rendu pour s’assurer, dans le détail, que ces nouvelles règles correspondent à ce que la Cour attend. L’UEFA aura quoi qu’il arrive cette opportunité de revoir ses règles pour aller vers quelque chose de plus équilibré entre les clubs. Il y a encore cet enjeu-là», nous précisait dans cette optique le directeur des opérations de l’UEC.

Désormais, A22 Sports Management va donc devoir demander l’accord à l’UEFA pour monter cette nouvelle compétition, la Super League, et l’UEFA devra, de son côté, juger au regard des règles 2022, et non 2021, si cette nouvelle formule respecte les critères transparents, objectifs, non discriminatoires et proportionnés. «Toute la subtilité est là : à partir du moment où la FIFA et l’UEFA respectent ces quatre conditions pour prendre des décisions et réguler, ces règlements peuvent être considérés, au titre de la spécificité du sport, comme valables. C’est d’ailleurs en ce sens que l’UEFA a communiqué : elle a changé ses règles il y a un an. La CJUE reconnaît une autre chose très importante : quelle que soit la compétition, qu’elle soit organisée par les instances sportives ou par un organisateur privé lucratif, il faut respecter le calendrier international. Ça doit être pris en compte par A22 : ils ne pourront pas aller en confrontation directe avec des compétitions déjà existantes. Il y a une complexité, pour la Super League, assez éloignée de la façon dont elle communique ces dernières heures», précisait d’ailleurs Christophe Lepetit, responsable des études économiques du Centre de droit et d’économie du sport, où il est également directeur de l’UEFA Master for International Players, dans des propos relayés par So Foot.

La suite après cette publicité

Des promesses vaines formulées par A22 Sports ?

Et d’ajouter : «différentes choses vont repasser par le tribunal de Madrid, qui devra bien sûr tenir compte du jugement rendu par la CJUE, et qui va devoir se positionner non pas sur les anciennes règles – celles en vigueur au moment de l’éclatement de la Super League en avril 2021 – mais sur la compatibilité des nouvelles. Et l’UEFA est visiblement assez confiante quant au fait que ses nouvelles règles sont compatibles et cochent les critères. Ce qu’il faut analyser maintenant, ce sont les modifications de l’UEFA (modifications de format, de qualifications) et voir en quoi ces règles sont différentes. Mais c’est très loin d’être évident que la décision du jour est une énorme victoire de la Super League». Dans cette optique, si les défenseurs de ce projet révolutionnaire ne peuvent encore crier victoire, de nombreux points avancer dans leur récente proposition interrogent. Le premier d’entre eux concerne cette volonté de diffuser gratuitement l’ensemble des rencontres de la compétition via une plateforme de streaming dédiée, baptisée Unify. Si cette communication permet logiquement d’attirer les fans, elle revêt, pour de nombreux observateurs, un caractère mensonger. Un avis notamment partagé par Christophe Lepetit : «c’est faisable, mais je pense qu’il s’agit d’un énorme mensonge. Ils peuvent tout à fait lancer leur compétition et leur plateforme sur laquelle ils proposeront gratuitement toutes les rencontres des compétitions masculines et féminines, ils essayeront de financer cela par la publicité, ce qu’ils n’arriveront pas à faire, très probablement».

«Pourquoi aujourd’hui la Ligue des Champions, la Ligue Europa et la Ligue Europa Conférence sont sur des médias payants ? Parce qu’il y a eu une course en avant permanente, de la part des clubs qui se font concurrence, pour augmenter les revenus. Cela a poussé l’UEFA à une sorte d’essorage du marché, c’est-à-dire à aller chercher tous les budgets de tous les diffuseurs. Les mêmes causes produiront les mêmes effets. C’est une promesse à mon sens intenable, à moyen terme. À court terme oui, puisque ça peut permettre d’amadouer les fans et de lancer la compétition en lui donnant tout de suite une base assez solide de suiveurs, mais assez rapidement derrière ils voudront arriver à une forme de monétisation de cette plateforme, et/ou de partage des droits entre la plateforme et les diffuseurs payants», confiait l’intéressé. Autre point sensible ? Celui concernant les paiements de solidarité, à savoir la part des revenus de la Ligue des Champions qui est reversée aux clubs qui ne participent pas à la compétition. Aujourd’hui fixée à 7%, cette part devrait prochainement passer à 10. De son côté, A22 Sports a ainsi assuré que cette part serait fixée à 8 %, avec un minimum de 400 millions d’euros, soit plus du double des versements effectués par l’actuelle compétition européenne. Si la promesse apparaît, sur le papier, excitante, la lecture précise de cette annonce livre, là aussi, un tout autre verdict…

«En réalité, A22 a proposé un nouveau projet avec 64 équipes européennes alors que dans le système actuel de l’UEFA, c’est 108 équipes donc la première chose que fait A22 est d’enlever 44 équipes. Dès lors, si on souhaite comparer les paiements de solidarité, il faut les comparer à tous les clubs qui ne joueraient pas l’Europe dans le système d’A22. On commence donc par compter ce que touchaient les 44 clubs exclus par A22 dans le système UEFA et c’est déjà énorme. Même si ce sont les 44 plus petits clubs, on pourrait dégager au moins 500 millions de prize money en enlevant ces clubs. Par ailleurs, A22 dit qu’ils ont 400 millions d’euros en solidarité, mais ce n’est pas exact, car l’UEFA donne déjà près de 300 millions en solidarité à tous les non-participants, au-delà des 108 qui jouent dans la compétition. Sauf qu’en plus de ceux-là, tu vas avoir les 44 qui vont être en dehors des compétitions qui vont eux aussi toucher beaucoup d’argent. En définitive, si on compare, c’est 800 millions d’euros côté UEFA et 400 millions côté A22 donc beaucoup, beaucoup moins de paiements de solidarité. Au final, le rapport s’inverse et la première fois, en 2021, sur les paiements de solidarité, ils avaient d’ailleurs dit qu’ils multipliaient par trois ces paiements alors que dans les faits, ils divisaient par trois», constatait William Martucci. Une victoire totale de Florentino Pérez & co… Vraiment ?

La suite après cette publicité

Fil info

La suite après cette publicité