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Mathieu Bodmer : «si je n’avais pas joué au PSG, j’aurais foiré ma carrière»

Par Lucas Billard
12 min.
Mathieu Bodmer lors d'un match du PSG en Ligue Europa @Maxppp

Après 20 ans de carrière, dont 17 saisons passées en Ligue 1 (seuls Étienne Didot et Florent Balmont ont fait mieux au XXIe siècle, avec 18 années dans l'élite), Mathieu Bodmer a décidé de mettre un terme à ce chapitre de sa vie mardi à 37 ans. L'ancien milieu de terrain et défenseur central à la polyvalence appréciée, double champion de France avec l'OL et le PSG, est revenu sur les différents épisodes qu'il a connus au plus haut niveau.

«Aujourd'hui est un jour important pour moi : c'est la fin. C'est une page importante de ma vie d'homme et de sportif qui se tourne. Je pense que c'est le moment». C'est dans la bonne humeur qu'un Mathieu Bodmer en paix avec lui-même nous a reçu, mardi 23 juin, dans un chic restaurant parisien pour officialiser son départ à la retraite. Non sans le cœur lourd mais avec l'esprit libéré et la parole honnête, l'ancien joueur du LOSC, de l'OL, du PSG ou encore de l'OGC Nice, qui devrait désormais prendre une licence de joueur avec son club, Évreux (dont il est président), revisite l'ensemble de sa belle et longue carrière de footballeur professionnel, sans jamais rien éviter.

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Mathieu Bodmer : j'y ai réfléchi un petit moment. Ça faisait déjà quelques mois que j'y pensais. Étant donné la situation dans mon club, les différentes blessures... La vieillesse qui arrive aussi. Tous les matins, ton corps vieillit un peu plus. Le confinement est venu chambouler mes plans. J'avais grand espoir qu'on reprenne pour disputer la fin de saison, je m'y étais préparé pendant le confinement.

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FM : existe-t-il un sentiment d'amertume de finir comme ça, alors que votre dernier match aura été le 15 janvier dernier face à Reims (1-1) au Stade de la Licorne et qu'Amiens, 19e de Ligue 1, est relégué en Ligue 2 ?

MB : oui, j'aurais aimé disputer un dernier match. Mais il y a des choses bien plus graves aujourd'hui, mon cas était secondaire. Tant pis pour moi et ma sortie, on ne choisit pas tout le temps. Terminer sur la seule relégation de ma carrière ? On peut dire que c'est plus une descente administrative pour se remonter le moral. Repartir en Ligue 2 ne me dérangeait pas. Ça n'a pas pu se faire pour eux comme pour moi mais c'est la vie.

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FM : est-ce dur de voir vos coéquipiers à Amiens reprendre l'entraînement et de ne pas être avec eux ?

MB : pour être honnête, c'est pour ça que j'ai déménagé sur Paris il y a quelques semaines. C'est la première fois depuis 20 ans que je rate une reprise, que je ne me lève pas pour aller jouer. Même si j'ai une vie sociale très riche, le football est important depuis tout petit dans ma vie. C'est un moment différent... je ne réalise peut-être pas encore, parce que ce n'est que le début, avec le contexte actuel... mais oui, c'est bizarre.

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FM : avez-vous reçu des propositions d'autres clubs pour poursuivre votre carrière ?

MB : non, même pas. Ma priorité était de continuer à Amiens. Si je ne continuais pas avec eux, je ne repartais pas autre part. Parce que ça fait 20 ans que je suis sur les routes et que j'avais une situation géographique avantageuse avec mes garçons, ma femme et ma famille. Et puis l'encadrement du club, ça faisait 3 ans qu'on avait tissé de gros liens, je ne me voyais pas repartir à mon âge pour une nouvelle aventure. C'était Amiens ou rien.

FM : vous auriez pu découvrir l'étranger au cours des 20 dernières années...

MB : j'adore la France ! (Rires) J'aurais pu. Le football d'aujourd'hui n'est pas le même qu'il y a 15 ans. Quand je pars de Lille, Lyon est un grand d'Europe. Ceux que j'avais à l'étranger, c'était du seconde zone. Financièrement, ça ne payait pas aussi bien qu'aujourd'hui. Une fois à l'OL, après le premier titre de champion de France, mon rêve était de jouer au PSG. Après, Nice est arrivé, c'était un superbe projet. Pour aller à l'étranger, il fallait que je m'y retrouve sportivement. Il fallait que tout soit réuni. Ce n'était pas le cas.

FM : est-ce un regret de ne pas avoir été sélectionné en équipe de France ?

MB : non. Autant, descendre en Ligue 2, oui. Mais les Bleus, c'est au mérite. J'ai fait les A'. Mais si je n'étais pas appelé, c'est qu'il manquait un petit truc. Et puis il y avait encore des joueurs comme Zinedine Zidane, Claude Makélélé, Patrick Vieira à mon époque, ce qui se faisait de mieux au monde. J'ai eu la chance de faire toutes les équipes de jeunes. Il aurait fallu plus de travail, de régularité.

FM : qu'est-ce qui a changé en 20 ans dans le foot ?

MB : beaucoup de choses. C'est un autre monde. Beaucoup de personnes encadrent et entourent le footballeur. Il y a des bons et des moins bons côtés. Il y a des parasites dans l'entourage des joueurs. Les jeunes sont mal conseillés mais pour la plupart, le sportif n'est pas la priorité. Ils aiment moins le foot et sont moins passionnés. Avec Nice, juste avant d'affronter Naples en Ligue Europa, il y avait Diego Maradona sur les écrans. Les petits avec moi m'ont demandé «c'est qui ?». J'ai failli arrêter ma carrière ce jour-là ! Moi, je connais Pelé même si je ne l'ai pas vu jouer... Le mode de consommation a changé. Mais il est important de regarder du foot pour apprendre des meilleurs. La culture foot se perd vachement, ça me dérange. Aujourd'hui, le foot est une porte de sortie pour des familles. C'est un ascenseur social.

FM : quel est l'entraîneur qui vous a le plus marqué ?

MB : (sans hésiter) Claude Puel. Je ne peux pas ne pas le citer (rires). Malgré nos hauts et nos bas, comme dans un couple. J'ai fait trois passages dans trois clubs différents en Ligue 1 pendant 9 saisons, ça marque. Toujours beaucoup de respect et beaucoup de bons souvenirs. Il est venu me chercher à Caen à l'époque et m'a fait progresser, je ne peux pas l'oublier.

FM : quel entraîneur était le plus fort tactiquement ?

MB : Lucien Favre. C'est du génie. Dans la relation humaine, c'est plus compliqué. Mais comment il réfléchit, c'est incroyable. C'est du très très haut niveau. (Carlo) Ancelotti, humainement, c'était top. Luka Elsner sort beaucoup de choses aussi. Mais Lucien Favre, c'était à 10cm près. C'est un grand passionné, presque maladif.

FM : quel est son problème pour franchir un palier ?

MB : c'est relationnel. C'est un Suisse-Allemand. Il est un peu froid, c'est difficile de parler avec lui. Il avait des difficultés à s'exprimer. Déjà, il vouvoyait les joueurs... En France, c'est un peu bizarre. C'est sa façon de faire. Mais sa vision du foot et son souhait de faire évoluer l'équipe, c'était extraordinaire. On travaillait beaucoup, 2h30-3h minimum par jour. Mais c'était son truc. Si on a une équipe un peu plus large en quantité, Nice aurait pu accrocher le titre l'année où on termine 3e (en 2016-2017, ndlr). Il y avait que des gars qui pensaient foot, et réfléchissaient foot. Ça, ça n'a pas de prix.

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FM : quel est le moment le plus fort de votre carrière ?

MB : le premier titre (de champion de France) avec Lyon (en 2008). Tu pars en vacances en te disant «j'ai fait mon travail».

FM : quel est le pire souvenir de votre carrière ?

MB : les blessures. Je n'ai eu qu'une grosse blessure, une pubalgie (en novembre 2008 avec l'OL, ndlr). Ensuite, je n'ai quasiment eu que le mollet, qui est une blessure récurrente. Par exemple, cette année, j'ai fait 4 préparations physiques. Tu reviens, tu te pètes... Mentalement, si tu n'es pas prêt, tu ne t'en sors pas.

FM : quel est le joueur le plus fort que vous ayez vu, celui qui vous a le plus impressionné ?

MB : Hatem (Ben Arfa). C'est spécial. 8 ou 9 joueurs sur 10 répondront la même chose. Sur ses qualités pures. Sa carrière ? Hatem n'aura pas de regret. Il fait ce qu'il aime, ce qui l'inspire. Il est capable de signer dans un club parce que les maillots sont beaux, par exemple. Il faut savoir lui parler, le prendre, lui dire les choses. Il est dans son monde, et il faut cerner son monde. Il est trop franc pour le foot. Il dérange dans un vestiaire (rires). Parfois, c'était compliqué à Nice avec lui. Il fallait souvent que je rentre dans des problèmes pour lui. C'est arrivé que je le sépare avec d'autres joueurs. Un jour, il s'est embrouillé avec (Sébastien) Squillaci. Le lendemain, il me dit «ça me fait chier, Toto, je l'aime bien, j'aurais pas du faire ça». Parce qu'il est comme ça. Il est parti s'excuser. Ce sont des choses qui arrivent dans un vestiaire. Il a sa ligne de conduite, il n'y a pas de juste milieu pour lui.

FM : et Mario Balotelli ?

MB : c'est un peu le même style mais il est plus compliqué à gérer qu'Hatem. Ils ne savent pas faire semblant. Ils vont être énervés s'ils ne jouent pas mais à côté de ça, si tu as un problème, ils seront là pour toi.

FM : le milieu du foot a-t-il toujours été faux-cul ?

MB : ma première année à Caen a été la pire saison de ma vie. On commence mal, le coach se fait virer, des gens ne disent pas bonjour dans le vestiaire, des joueurs parlent sur les femmes des autres, il y avait des bagarres tous les jours... On était deux jeunes, lâchés dans ce vestiaire. Avec différents groupes, parlant les uns sur les autres. On se dit «c'est ça le foot »? Et encore, j'ai été protégé par Nasser Larguet (aujourd'hui directeur du centre de formation de l'OM, ndlr). Au cours des 6 premiers mois, je ne m'entraînais pas avec eux. Nasser me dit alors : «tu n'as pas de voiture, t'as pas le permis, t'as pas de femme, t'as pas de montre. Tu vas parler de quoi avec eux ? Reste dans le foot, ils vont te polluer la tête». J'ai compris en arrivant dans le vestiaire. Mais ça a été un vrai apprentissage.

FM : jouer au PSG (de 2010 à 2013), c'était un rêve...

MB : tout ce que j'ai fait, je l'ai toujours décidé tout seul. Je n'en veux à personne. Par exemple, quand je voulais aller au PSG, c'était le PSG ou rien d'autre. Ça a duré un mois, deux mois... Je suis remonté à Paris, je prenais des amendes... le président de l'OL (Jean-Michel) Aulas m'a appelé, je lui ai dit : «avec tout le respect que je vous dois, soit je signe à Paris, soit j'arrête le foot».

FM : il faut dire que vous êtes fan du PSG depuis tout petit...

MB : Paris, c'était le premier club où je suis allé faire des essais, à 11 ans. Mon père est supporter du PSG. J'ai baigné là-dedans. Je suis fan de David Ginola. J'ai eu la chance de le croiser en 1993, pendant la grande époque du PSG. Si je n'avais pas joué au PSG, j'aurais foiré ma carrière. C'était LE truc. Pour notre histoire... ça aurait pu se faire avant. Quand j'étais à Lille, j'avais une offre tous les 6 mois mais Claude Puel ne voulait pas m'envoyer là-bas. La première année où je suis à Lyon, j'ai un rendez-vous avec Charles Villeneuve et Alain Roche à l'époque, dans son appartement à Paris, quasiment personne ne le sait. Ils me font une proposition de fou et me disent «voilà, on va recruter Makélélé, Coupet, Giuly». Je l'ai pris pour un fou. Le PSG n'était pas bien à cette époque. Quand je les ai vus tous débarquer, je me suis senti con. Et Claude Puel est arrivé à l'OL et m'a dit «tu ne pars pas». Je me suis dit que je n'allais jamais y arriver.

FM : ressentez-vous un goût d'inachevé avec Paris ?

MB : non. C'est mon caractère. Je n'ai pas de patience, ou très peu. Un nouveau projet arrivait, ils voulaient ramener du monde. Avec Leonardo (directeur sportif du PSG, ndlr), ça ne passait pas. Deux trois noms d'oiseau ont volé. Certains sont restés derrière et ont mis leur fierté de côté ou ont fait le dos rond. Je ne pouvais pas accepter ça. On a beau me donner beaucoup d'argent, il faut que je joue. J'aime trop le foot pour pas jouer.

FM : qu'est-ce que vous ont fait vos premières fois au Parc des Princes, en tant que joueur ?

MB : si j'ai un regret avec Paris, c'est de ne pas avoir joué avec les ultras, surtout avec l'équipe qu'on avait. Quand j'étais adversaire, il y avait de l'ambiance avec les kops. Même quand l'équipe n'était pas au top. Ça a mis du temps à redémarrer. Même si aujourd'hui il y a le CUP, ce n'est pas la même ambiance qu'il y a quinze ans. Avant, c'était le feu, tout le monde voulait jouer au Parc.

FM : au PSG, comment étaient vos relations avec Zlatan Ibrahimovic ?

MB : très bonnes. J'ai adoré le personnage et le joueur, ça s'est bien passé. On avait quelques amis en commun. Rien à dire : super joueur, super mec, qui a apporté beaucoup de choses au club. C'est un ovni quand il débarque en Ligue 1. J'ai eu la chance avant de jouer à Lyon, avec Fabio Grosso, vainqueur de la Coupe du Monde, Juninho, même Karim (Benzema), même si c'était ses débuts. Après, Fabio, c'est l'exemple. Le gars qui a mis le penalty de la victoire en Coupe du Monde (en 2006). Il nous le racontait dans le bus, en disant : «tu vois le rêve que tu fais depuis tout petit ? C'est moi qui ai tiré. Vous avez pleuré, j'ai rigolé». C'est le top du top.

FM : auriez-vous pu jouer à l'OM ?

MB : non, jamais de la vie (rires). Entre l'OL et l'ASSE, il y avait le PSG entre les deux. Ce n'était pas pareil. Il y avait une grosse équipe (Aubameyang, Ghoulam, Zouma...) Le contexte était bien pour aller là-bas. La chance, c'est que sur mon premier ballon, je marque. Si tu mouilles le maillot pour Saint-Étienne, ça se passe bien.

FM : pourriez-vous intégrer un staff ou occuper un rôle de formateur à l'avenir ?

MB : oui, c'est important de transmettre des valeurs. Je vis et je meurs pour le foot.

FM : et être agent ?

MB : tant que c'est dans le foot, ça m'intéresse. J'ai eu des propositions de certaines agences. Ce n'est pas ma priorité. J'espère rester proche du terrain. Je ne me ferme aucune porte. Ce qui va me manquer dans le football, de l'autre côté de la barrière, c'est l'adrénaline.

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