Ces jeunes binationaux qui peuvent sauver une Italie en dépression
En pleine crise identitaire et toujours en quête d’un billet pour le Mondial, l’Italie se tourne vers ses racines sud-américaines. Entre nécessité sportive et héritage historique, la Nazionale de Gattuso espère retrouver son éclat grâce aux jeunes Oriundi venus d’Argentine et du Brésil.
L’Italie vit une période charnière de son histoire footballistique. Après les traumatismes des Coupes du monde 2018 et 2022 manquées, la Nazionale joue sa survie internationale. En pleine trêve décisive, les hommes de Gennaro Gattuso, nommé pour redonner un souffle de caractère et de fierté à la Squadra, se battent encore pour arracher leur qualification au Mondial. Le scénario d’un nouveau barrage plane comme une malédiction récurrente pour les tifosi. Car depuis l’euphorie de l’Euro 2021, la Botte semble s’être éteinte avec un football redevenu timoré, un réservoir national appauvri et une identité offensive effacée. Dans ce contexte, la Fédération italienne (FIGC) cherche désespérément à élargir sa base de talents, consciente que les seules ressources internes ne suffisent plus. Et c’est du côté de l’Amérique du Sud, là où le sang italien coule encore dans les veines de millions de descendants, que Rome regarde désormais avec insistance. L’Italie a toujours eu une relation particulière avec ses émigrés. Aujourd’hui, elle espère que leurs héritiers pourront lui offrir une renaissance. Le mot Oriundi vient du latin oriundus, qui signifie "originaire de", et désigne les descendants d’émigrés italiens partis faire fortune à l’étranger sans jamais revenir.
On estime aujourd’hui leur nombre entre 60 et 80 millions dans le monde, avec une concentration exceptionnelle en Amérique du Sud. L’Argentine compterait à elle seule près de 19,7 millions d’Italo-argentins, soit 47 % de sa population. En Uruguay, environ 45 % des habitants ont des racines italiennes, et au Brésil, près de 13 % de la population seraient d’origine transalpine. Cette diaspora colossale est le fruit de vagues migratoires massives des XIXe et XXe siècles, lorsque plus de 30 millions d’Italiens quittèrent la péninsule pour les Amériques. Et ce vivier devient aujourd’hui un atout stratégique pour une fédération italienne en quête de talents. La FIGC s’appuie sur les règles FIFA : tout joueur n’ayant pas joué en match officiel A avec un autre pays peut demander à représenter une autre sélection, s’il possède la nationalité et un lien de filiation directe. L’Italie a d’ailleurs fait évoluer ses procédures administratives pour faciliter la reconnaissance du ius sanguinis, la citoyenneté par filiation, même si la récente réforme du droit italien vise à mieux encadrer ces demandes. Gennaro Gattuso et la FIGC veulent désormais en faire une arme, non une exception.
La touche italienne d’Argentine
La récente naturalisation de Mateo Retegui, buteur italo-argentin appelé dès 2023 par Roberto Mancini, a rouvert cette voie fermée depuis Mauro Camonaresi, Thiago Motta ou encore Jorginho. Recruté par le Genoa, l’attaquant italien a ensuite explosé à l’Atalanta avant de signer cet été en Arabie saoudite. Toujours performant et bien intégré en Nazionale, il symbolise la politique d’ouverture assumée de la fédération. Le cas le plus emblématique est celui de Matías Soulé, ailier de 22 ans révélé à la Juventus et à présent joueur cadre à l’AS Roma. Né à Mar del Plata, il possède des racines italiennes et a déjà été approché par la FIGC. Pour l’instant, Soulé garde la porte ouverte à l’Argentine, mais l’Italie espère encore le convaincre. Sa situation symbolise parfaitement le dilemme identitaire de cette génération. Derrière lui, le défenseur Nicolás Valentini, longtemps pilier de Boca Juniors avant son départ pour la Fiorentina, intrigue. Lui aussi a un passeport italien, aucun match A avec l’Albiceleste, et présente le profil moderne que Gattuso recherche pour sa défense. Solide, à l’aise balle au pied, et formé dans une école argentine réputée, Valentini peaufine son développement en prêt au Hellas Vérone.
Autre piste sérieuse : Lucas Beltrán, avant-centre formé à River Plate, passé par la Fiorentina et aujourd’hui en prêt à Valence en Espagne. Joueur de caractère, travailleur, Beltrán n’a jamais porté le maillot de l’Argentine en A. Son adaptation rapide au football européen et son profil de 9 complet en font un candidat crédible pour la Nazionale, dans la lignée directe de Retegui. Ces trois noms incarnent la maturité sportive du mouvement Oriundi, à savoir des jeunes déjà prêts, rompus au haut niveau, et capables d’élever immédiatement la compétitivité italienne. Derrière cette première vague se cache une génération encore plus jeune et prometteuse. Des joueurs comme Gianluca Prestianni (Benfica, 2006), Tomás Pozzo (Godoy Cruz, 2000), Gino Infantino (Fiorentina, 2003) ou Juan Sforza (Vasco da Gama, 2002) partagent le même profil de talents précoces, déjà suivis par les grands clubs européens, et tous porteurs d’une double culture.
L’Italie les surveille de près, consciente que le travail de séduction doit commencer tôt pour éviter qu’ils ne s’engagent avec l’Argentine. Pour Gattuso, ce vivier est une chance à saisir. Si l’Italie veut redevenir compétitive, elle doit savoir se réinventer à travers ses enfants du monde, ces Oriundi capables de rallumer la flamme d’une nation en manque de souffle. Ce mélange d’héritage et d’opportunité pourrait bien être la clé du renouveau. L’histoire se répète : naguère, les Monti, Orsi ou Sivori, eux aussi venus du Río de la Plata, avaient offert à la Nazionale des titres et du génie. Aujourd’hui, une nouvelle génération est prête à en écrire le prochain chapitre.