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L’Assemblée nationale déclare la guerre à la multipropriété dans le football français

Ce mercredi, le député Éric Coquerel a convoqué la presse à l’Assemblée nationale pour dévoiler sa proposition de loi visant à encadrer strictement la multipropriété des clubs et instaurer l’aléa sportif dans le code du sport.

Par Valentin Feuillette
6 min.
Eric Coquerel @Maxppp

Depuis plusieurs mois, la question de la multipropriété s’est imposée comme l’un des dossiers les plus brûlants du football français, révélant les tensions entre l’enracinement historique des clubs et la mondialisation accélérée du secteur. Après l’échec du modèle Eagle à l’Olympique Lyonnais et la gestion contestée de BlueCo à Strasbourg, les signaux d’alerte se multiplient : pertes financières, résultats sportifs en berne, identité locale affaiblie, supporters en colère. Les critiques se répètent également à Nice, Toulouse ou encore face à l’arrivée de Red Bull et de la famille Arnault dans le paysage français. Partout, les mêmes interrogations reviennent : jusqu’où laisser les clubs devenir des actifs dans des portefeuilles d’investisseurs internationaux ? Jusqu’à quel point tolérer une concentration de capitaux qui, derrière des promesses d’investissement, fait craindre une homogénéisation et des conflits d’intérêts ? Ces inquiétudes ne sont plus seulement l’affaire des ultras ou des dirigeants locaux, mais elles touchent désormais le politique. Après le Sénat et sa proposition de loi portée par Laurent Lafon et Michel Savin, c’est au tour de l’Assemblée nationale sort de sa réserve, convaincue qu’il faut agir pour préserver l’équité sportive, la loyauté des compétitions et la souveraineté d’un secteur économique et culturel majeur.

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Au cœur du Palais Bourbon, Eric Coquerel, entouré de quelques collègues figurant parmi les près de 90 signataires de la proposition de loi transpartisane, a convié, ce mercredi, une petite dizaine de médias dont Foot Mercato, afin de détailler et éclaircir ce grand projet visant à lutter contre les dérives de la multipropriété : «On a réfléchi à lutter contre les dérives du vecteur principal la financiarisation spéculative dans le football, à savoir la multipropriété. Elle est tolérée quand il s’agit d’une chaîne européenne. Cette loi veut faire en sorte à un club français de ne pas appartenir à une chaîne de multipropriété qui aurait d’autres clubs en Europe. C’est maintenant ou jamais», a déclaré le députe de La France Insoumise, qui a cité, à plusieurs reprises, l’échec total de 777 Partners au Red Star et la situation actuelle du RC Strasbourg avec BlueCo. La proposition de loi transpartisane présentée ce mercredi entend ainsi ériger dans le code du sport un principe inédit d’aléa sportif et élargir l’interdiction de la multipropriété.

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Collaborer avec les acteurs du football

Concrètement, un actionnaire ou un fonds d’investissement exerçant un contrôle exclusif, conjoint ou une influence notable sur un club français ne pourra plus posséder ou influencer un club étranger de la même discipline. Les sanctions aussi changent d’échelle : l’amende plafonnée à 45 000 euros pourrait atteindre 2 % du chiffre d’affaires mondial de l’entité en infraction, assortie d’une interdiction automatique de participer aux compétitions tant que la situation prohibée perdure. «À partir du moment où on fragilise éventuellement le football en empêchant ça, faut-il encore présenter un modèle qui permette de prendre le relais ? Cette proposition au point ne vise pas à un point professionnel, au point de l’affaiblir au contraire. Mais d’avoir un autre modèle du football qui ne correspondrait peut-être pas à des modèles de clubs, j’allais dire type Paris Saint-Germain et autres, mais qui pourrait correspondre à ce qui fait la richesse du football français, c’est-à-dire ces clubs qu’on connaît depuis des dizaines d’années qui sont inscrites dans un territoire et qui doivent pouvoir répondre à un autre modèle», a affirmé Eric Coquerel. Dans le même mouvement, la DNCG voit ses pouvoirs renforcés et les associations de supporters obtiennent pour la première fois un rôle institutionnel pour déclencher un contrôle. Cette offensive parlementaire, sur fond d’incertitudes politiques et d’opérations capitalistiques de plus en plus opaques, veut marquer une rupture : l’État reprend la main pour rétablir un cadre clair et affirmer une exception sportive à la française, afin que le football ne soit plus seulement un marché, mais reste un bien commun.

Pour défendre son texte, Éric Coquerel insiste sur la nécessité d’une approche concertée avec l’ensemble des acteurs du football, bien au-delà du cadre hexagonal. Selon lui, la loi ne pourra être efficace que si elle s’appuie sur la Fédération française (FFF), mais aussi sur l’UEFA et la FIFA, afin d’éviter les contournements et d’harmoniser les règles du jeu à l’échelle européenne. Une telle coordination est essentielle pour ne pas isoler le football français et pour garantir que le principe d’aléa sportif et les interdictions de multipropriété aient un impact réel. C’est dans ce contexte qu’il rappelle les nombreuses auditions menées auprès des clubs, des économistes, des juristes et des supporters avant la présentation du texte : «on a dû auditionner une trentaine de personnes. Il y a des clubs, par exemple, comme Rodez, Sochaux, Lens, qui sont un peu des contre-exemples parce qu’ils sont dans une chaîne de multipropriété qui ne correspond pas vraiment à ce que je viens de caractériser, mais l’exception n’est pas la règle générale. On a aussi auditionné des économistes du sport, des avocats, des fiscalistes et nous avons évidemment auditionné le président de la fédération de foot, ainsi que des gens de la Ligue et des instances internationales, y compris plusieurs groupes de supporters. La Ligue n’était pas forcément pour, mais j’ai senti un peu plus d’ouverture à la Fédération. On a donc pas mal de monde, y compris à l’échelle européenne. L’idée n’est pas de faire quelque chose de franco-français», a-t-il détaillé en ajoutant que les présidents de clubs français «n’étaient pas d’un grand enthousiasme de vis-à-vis de ce texte» par peur de «pénaliser le football français par rapport à ce qu’il se fait en Europe».

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Deux voies s’offrent aujourd’hui à Éric Coquerel pour faire avancer son texte : l’inscrire dans une niche parlementaire, où un groupe politique choisit librement ses propositions de loi à l’ordre du jour, ou bien l’arrimer au texte Savin-Lafon déjà adopté au Sénat. La première option lui donnerait une fenêtre médiatique, mais une majorité incertaine, la seconde augmenterait ses chances d’aboutir en profitant d’un véhicule législatif déjà engagé, quitte à accepter quelques compromis sur le contenu. Il a également mentionné via «les semaines de l’Assemblée» où chaque proposition de loi transpartisane est examinée : «Il faut continuer à faire en sorte que les fédérations sportives et les organisations internationales prédominent par rapport à des ligues fermées. Je ne crois pas qu’ils aient besoin de nous pour essayer de songer à accélérer, mais il y a peut-être un peu de course de vitesse. J’ai compris que du côté de la Fédération, on n’était pas favorable à des ligues fermées. Si on laisse faire, dans 10 ans, vous avez 10 grands propriétaires. Est-ce qu’on souhaite quelque chose basée sur un côté entrepreneurial et patrimonial qui vise à moyen et long terme, ou alors quelque chose basée sur le court-termiste et qui est contradictoire avec l’aléa sportif ?». Reste à savoir si cette proposition de loi tiendra toutes ses promesses ou si elle s’érodera au fil des débats parlementaires et des pressions extérieures. Mais une chose est sûre : en inscrivant pour la première fois l’aléa sportif et l’encadrement strict de la multipropriété dans la loi, l’Assemblée nationale affiche sa volonté de faire sa révolution footballistique et de reprendre la main sur un secteur trop longtemps laissé aux seuls investisseurs.

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