Pourquoi les investisseurs étrangers font main basse sur le foot français ?

Par Maxime Barbaud
9 min.
Frank McCourt à l'OM, Jim Racliff à Nice, Nasser Al-Khelaïfi et le Qatar au PSG, et John Textor à l'OL @Maxppp

Le rachat de l'OL par l'homme d'affaires John Textor entre dans une série qui commence à être longue comme le bras, celle des investisseurs étrangers dans le football français. 14 clubs professionnels sont désormais détenus par des capitaux russes, américains, anglais, qataris, chinois ou d'ailleurs et le phénomène risque bien de se prolonger. Explications.

La liste s'allonge toujours plus. Avec le passage en cours de route sous pavillon américain de l'Olympique Lyonnais, voilà désormais 10 clubs de Ligue 1 aux mains de capitaux étrangers. Ils sont 4 en Ligue 2, en attendant la possible vente de Saint-Etienne à l'homme d'affaires états-unien, David Blitzer. John Textor, le futur nouvel actionnaire majoritaire des Gones via sa société Eagle Football Holdings LLC, étend un peu plus son empire, lui qui possède déjà une participation de 40 % dans Crystal Palace (Premier League), 80% du côté de Molenbeek (D2 belge), et 90% de Botafogo (Brésil). «Le football est aussi en lien avec la communauté, avec les villes et des groupes derrière leur équipe. J'aimerais qu'on puisse revenir un peu plus à ces valeurs-là», expliquait-il le 21 juin dernier, jour de sa présentation à la presse.

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Pour le retour du football de "valeurs", concept toujours flou, il faudra sans doute attendre un peu. Textor est un professionnel de l'industrie du sport et de l'entertainment. Il a déjà les codes pour se mettre le public dans la poche. « Je n'aime pas le modèle du PSG, j'espère qu'on va pouvoir gagner face à lui la saison à venir. Si on continue à faire ce que fait Jean-Michel (Aulas) depuis quelques années et qu'on y amène du divertissement et de la technologie, on va pouvoir gagner plus d'argent qu'avec un investisseur qatari. » La promesse d'une belle équipe, de moyens importants mis à disposition, un petit tacle au passage pour l'adversaire, la recette est bien connue pour se mettre les supporters dans la poche. Mais qu'on ne s'y trompe pas. Si John Textor est en train d'acquérir 66% des parts de l'Olympique Lyonnais, c'est surtout pour s'enrichir et agrandir son empire.

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La combinaison Covid/Mediapro a accéléré le mouvement

Il ne fait qu'épouser un mouvement entamé il y a bientôt 20 ans, lors du rachat du PSG par l'américain Colony Capital pour 70 M€. 5 ans plus tard, Qatar Sports Investments (QSI) récupère 70% des parts du fonds d'investissement. Colony Capital aurait fait un bénéfice d'environ 10 M€. C'est le début d'une nouvelle ère en France, celle des investisseurs étrangers, exacerbée par la crise liée à la Covid-19 puis au désengagement de Mediapro. «Cette conjonction de facteurs a extrêmement fragilisé les clubs français. Quand ils ont signé ce contrat avec Mediapro, ils ont imaginé une manne pérenne très importante sur plusieurs années. Certains ont pris des risques en anticipant cette manne à travers le mercato. Ils se sont mis dans des circonstances un peu difficiles. Aujourd’hui, on se retrouve avec des clubs français qui ont besoin d’argent frais », décrypte Louis-Marie Valin, membre de l'Observatoire du Sport Business.

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En plus de cette conjoncture favorable à l'intervention de capitaux étrangers, les clubs français sont déficitaires de manière structurelle. Il suffit de jeter un œil dans les rapports annuels successifs de la DNCG pour observer la tendance. Les déficits se succèdent et se creusent à cause des coûts toujours plus élevés. «Il y a eu de l’argent massif dans les autres championnats qui a fait augmenter naturellement les rétributions, c’est-à-dire les salaires, poursuit l'économiste. Les charges des clubs ont explosé. Les clubs français, s’ils voulaient suivre et être compétitifs, ont été obligés d’augmenter leur masse salariale. C’est le principal problème des clubs aujourd’hui. Il y a donc un besoin d’argent structurel pour éponger la masse salariale». Et là où les actionnaires pouvaient mettre au pot en période de prospérité, ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui.

Les clubs français plus que jamais mis sur le marché...

Afin de minimiser les pertes, l'heure est à la vente des clubs. La charge est devenue trop importante à assumer. Elle risque de fragiliser un ensemble encore plus vaste pour les propriétaires. Dans cette optique, la venue d'investisseurs étrangers est une aubaine pour bon nombre de dirigeants. Ils prennent des formes diverses : fonds d'investissement comme à Bordeaux, au LOSC, à Caen ou encore Toulouse, multinationale avec l'exemple d'INEOS à l'OGC Nice, entreprises chinoises pour Sochaux et Auxerre, ou américaines à l'OM, oligarque russe à Monaco, fonds étatiques au PSG et même à Troyes intégré dans le conglomérat du City Group. À l'exception de QSI qui promeut l'image du Qatar à travers le monde par le biais du football, tous ont globalement la même volonté. Faire un maximum de profits.

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Fragilisés pour les raisons évoquées plus en amont, les clubs français sont des proies faciles, en plus de représenter pas mal d'avantages. «Il y a la création de la société commerciale de la LFP avec l’arrivée de CVC qui investit 1,5 milliard dans le foot français. Ça va redescendre sur les clubs. Ils auront des sources de revenus supplémentaires. C’est plutôt positif pour des investisseurs car ils viennent faire des plus-values, gagner de l’argent», abonde Magali Tezenas du Montcel, déléguée générale de Sporsora, qui voit également les structures comme argument de séduction. «Les investisseurs vont regarder les assets de ces clubs donc toutes les installations sportives, les stades. Et puis, on est un pays qui forme beaucoup de talents, avec des centres de formation performants. C’est important pour les investisseurs car le trading de joueurs fait partie du modèle économique d’un club de foot».

...Et à des prix très accessibles

Le timing serait donc parfait pour investir, d'autant que la prolongation de Kylian Mbappé au PSG apporte encore un peu plus de lumière sur notre championnat. Autre avantage, le marché français est encore accessible à l'inverse de ses voisins, notamment l'Angleterre complètement saturée par des investisseurs débarqués il y a quelques années maintenant. «Je prends en référence les clubs vendus les plus récents : Chelsea plus de 5 milliards. L'OL c'est 800 millions d'euros», pose la DG de l'organisme de réflexion au développement de l'économie du sport. L'Italie est quant à elle victime de ses stades vétustes et de sa formation déficiente, la Liga se joue en permanence entre le Real Madrid, l'Atlético et le Barça, en plus d'imposer des mesures économiques contraignantes pour des investisseurs, tandis qu'en Allemagne, la règle du "50+1" stipulant qu'un actionnaire ne peut détenir plus de 49% des parts, rend impossible l'entrée sur ce marché.

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«Il faut aller chercher ailleurs, comme en Ligue 1. Aujourd’hui un club français, c’est un très bon compromis. Ça reste un bon championnat avec des places de Ligue des Champions. Une bonne possibilité d’aller chercher des choses intéressantes, créer du business et du marchandising, tout en étant accessible», rapporte Louis-Marie Valin. De quoi se frotter les mains, pour les entrepreneurs américains notamment, de plus en plus présents en France en ce moment, à 4 ans de la Coupe du Monde aux États-Unis. Là où une franchise pèse plusieurs milliards, un club de Ligue 1 dépasse rarement les 100 M€ poursuit M. Valin «Ils ont une vraie vision du sport business qu’on a beaucoup moins en Europe, cette idée d’entertainment. N’oublions pas que c’est le premier marché du sport, et de très loin. C’est sans commune mesure avec les autres. Concrètement, si un club parvient à s’imposer dans ce marché là, c’est beaucoup de sources de revenus. »

L'échec bordelais, la réussite toulousaine

Le ticket d'entrée est abordable mais cela n'évite pas les accidents, comme à Bordeaux par exemple. Un an après son investissement de départ, GACP a connu trop de difficultés financières et a dû céder ses parts à King Street, qui a revendu le club deux ans seulement après sa venue à Gérard Lopez. Celui-ci s'est appuyé sur un emprunt contracté auprès de King Street et de Fortress, devenus les créanciers des Girondins. «Ils n’avaient pas de richesses propres, ils se sont juste adossés à ces fonds spéculatifs qui veulent des retours sur investissement très rapidement», résume l'observateur du sport business. Résultat, un an après ce rachat, le club au scapulaire est au bord du dépôt de bilan après une saison catastrophique qui l'a vu être relégué en Ligue 2 sportivement, et pour l'heure en National 1 administrativement. Dans cet échec, il y a également des problèmes de compétences.

Le modèle toulousain est lui un bel exemple de réussite. En 2020, le fonds de pension américain RedBird Capital Partners rachète 85% des parts du club à Olivier Sadran, alors que c'est le retour en Ligue 2. Le nouvel actionnaire s'est entouré de personnes qualifiées (Damien Comolli à la direction, Brendan MacFarlane au recrutement), dotées d'un réseau et d'un savoir-faire qui ont fait leurs preuves. Il ne leur a fallu que deux ans pour retrouver l'élite. «Caen, Sochaux, Auxerre attirent eux aussi. En réalité, peu importe que le projet soit en L1 ou en L2. Ça dépend à combien vous acheter mais c’est le potentiel de gains que l'on regarde. En Ligue 2 aussi ça peut intéresser s’il y a tous les ingrédients», assure Magali Tezenas du Montcel.

Où sont les investisseurs français ?

On pourrait alors se demander pourquoi le marché français, pourtant attractif, est accaparé toujours un peu plus par des investisseurs étrangers. «Les entreprises sont encouragées à aller investir ailleurs. En France, on investit dans le cinéma, l’art, pour des raisons de défiscalisation notamment. Les grosses fortunes n’ont pas la pression sociale d’investir dans le football». Pour Valin, il s'agit d'un manque de culture du sport mais c'est aussi lié à la construction économique et jacobine notre pays. «Il y a aussi la désindustrialisation de la France qui joue un rôle. Quand on regarde les grands pays étrangers, les grands investisseurs locaux ce sont souvent de grandes entreprises industrielles. Fiat avec la Juventus, Pirelli avec l’Inter, Bayer avec le Bayer Leverkusen. On est souvent sur de grosses multinationales locales. En France, elles sont toutes nationales et elles n’investissent pas dans le sport».

Propriétaire du Stade Rennais depuis le début des années 2000, François Pinault fait figure d'exception. Homme le plus riche en France (et peut-être dans le monde) à détenir un club de football, le Breton n'a pourtant jamais mis de moyens démesurés, préférant une gestion de "bon père de famille". C'est pourtant au soir de la finale de la Coupe de France remportée face au PSG en 2019 que la 4e fortune française a vécu, «l’une de [ses] plus grandes émotions d’homme. (...) Je n’ai jamais rencontré ce type de sensation dans le monde des affaires. Et pourtant, j’en ai fait quelques-unes : des OPA et des combats gagnés avec de grandes satisfactions pour l’entreprise. Mais le foot ce n’est pas la même chose.» De quoi donner des idées à ses collègues français fortunés ? Pas si sûr tant ils ont déjà laissé la place aux investisseurs étrangers, et probablement pour quelques années encore.

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