Cristiano Ronaldo à Al Nassr, le succès de la nouvelle politique saoudienne

Par Hanif Ben Berkane
14 min.
Cristiano Ronaldo lors de sa présentation avec Al Nassr. @Maxppp

Depuis plus d’une décennie maintenant, l’Arabie Saoudite a décidé de mettre les moyens pour développer son football. L’objectif : être la référence du ballon rond en Asie sous fond de rivalité politique avec le Qatar notamment. L’arrivée de CR7 à Al Nassr va dans cette direction. Explications.

«Nous avons dormi pendant des années, mais nous nous sommes réveillés, et nous allons obtenir des résultats qui vont stupéfier le monde entier». Ces mots sont ceux de Turki al-Sheikh, conseiller saoudien à la Cour royale sous le rang de ministre et actuel président de l’Autorité générale du divertissement, au micro de CNN. Des mots forts qui illustrent la volonté de l’Arabie Saoudite de développer considérablement le sport dans son Royaume. Car pendant longtemps, le pays avait des retards énormes dans ce domaine. La stratégie saoudienne ne s’est évidemment pas résumée qu’au développement du football, mais il était évidemment la priorité des dirigeants saoudiens. L’arrivée de Cristiano Ronaldo vient confirmer les progrès monstrueux du pays dans ce domaine là. Car en attirant le quintuple Ballon d’Or, star planétaire et légende du ballon rond, l’Arabie Saoudite gagne une place importante dans le paysage footballistique mondial. Et ce n’était pas du tout gagné puisque le pays revient de très loin. «Jusqu’en 1951, le football était interdit en Arabie Saoudite. Et pendant très longtemps, la Ligue saoudienne ne voulait pas que ses joueurs quittent le championnat. Ils n’étaient pas intéressés par le fait de ramener des joueurs étrangers non plus. En plus de cela, les clubs saoudiens avaient des soucis économiques. Le club d’Al Nassr était très endetté par exemple», nous confie, James Dorsey spécialiste de la géopolitique du football du Moyen-Orient et chercheur à l’institut du Moyen-Orient de l’Université nationale de Singapour.

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Pour mettre de l’ordre dans tout ça, il a fallu d’abord mieux organiser le championnat et les clubs. Car pour construire son football, l’Arabie Saoudite a décidé de miser sur du local, sur l’investissement des riches princes et hommes d’affaires du pays. L’objectif ? Se faire un nom et une crédibilité certaine dans un sport déjà très populaire au pays et plus globalement au Moyen-Orient. Alors la première mesure a été de privatiser les clubs pour permettre d’assainir les finances et donc de mieux structurer le championnat. «C’était souvent des clubs détenus par l’État, alors ils ont décidé de créer un fond pour permettre de privatiser les clubs en mettant toujours des personnes de confiance à la tête des clubs. Car le football est un milieu instable», précise James Dorsey. Et l’Arabie Saoudite a donc mis les moyens pour faire les choses bien. «Le fonds ne sera pas inférieur à 2,5 milliards de riyals (ndlr : 631 millions d’euros). La privatisation du football fournira le capital de base pour notre avenir», déclarait ainsi la princesse Rima bint Bandar Al-Saoud, vice-présidente pour les affaires féminines à l’Autorité générale du sport, lors d’un forum à Riyad.

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Mohammed ben Salmane et la Vision 2030

Avec ces premiers changements, le Royaume a aussi profité d’un football local qui commençait doucement, mais sûrement à s’affirmer sur la scène continentale avec des finales de Ligue des champions asiatiques de plus en plus régulières pour les clubs saoudiens depuis le début des années 2010. «J’ai rejoint le championnat saoudien il y a plus de 10 ans avec Al Hilal (2011-2014). J’y étais allé en me disant que ça allait être facile, mais pas du tout. Des joueurs locaux sont beaucoup plus forts que certains joueurs de Ligue 1. Les installations sont excellentes. C’était déjà un championnat en devenir. À l’époque, ils étaient au début de ce projet de développement. Les princes ou personnes fortunés qui possédaient les clubs se tiraient un peu la bourre entre eux donc ça permettait de progresser plus rapidement», nous explique Adil Hermach, ex-international marocain passé notamment par Lens qui a joué 8 saisons dans les pays du Golfe (dont 3 en Arabie Saoudite). Et dans sa lutte avec le Qatar et les Emirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite avait déjà une longueur d’avance au niveau du développement de son football local. «Les gens ont un manque de connaissances des championnats du Golfe. J’ai vu quand CR7 a signé que les gens ne faisaient pas la différence entre le Qatar, l’Arabie Saoudite ou les Émirats Arabes Unis. Les championnats sont totalement différents. Les équipes saoudiennes sont largement supérieures aux autres de la région. Al Nassr, Ittihad ou Al Hilal peuvent se maintenir facilement en Ligue 1. Les joueurs saoudiens ne sortent pas de leur pays par manque d’ambitions, je dirais peut-être. Mais quand tu es une star chez toi, tu touches de gros salaires, que tu as tout chez toi… Difficile de bouger», analyse l’ancien joueur de Toulouse.

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Alors que le Qatar et les Emirats investissent en masse dans des clubs européens (Manchester City pour les Emirats, le PSG pour le Qatar), l’Arabie Saoudite se construit différemment en essayant d’abord d’investir localement. La vision du Royaume en termes de football prend un tournant majeur avec l’arrivée de Mohamed ben Salmane, le 21 juin 2017, et de sa Vision 2030 qui veut faire de l’Arabie Saoudite un pays moderne dans tous les secteurs, à commencer par le sport. Car la vague de réformes concerne en partie le football. « Mohammed ben Salmane avait une vision pour 2030 qui consistait à développer le secteur du divertissement avec le sport notamment. Cela permettait de se diversifier économiquement, de créer de l’emploi. Mais surtout, c’était très important pour la politique de santé. Car l’Arabie Saoudite, comme les autres pays du Golfe, a un taux de diabétique très élevé, l’un des plus élevés dans le monde. La population n’avait pas un attrait pour la pratique du sport, détaille James Dorsey, avant de poursuivre. L’Arabie Saoudite a utilisé le sport et surtout le football pour redéfinir l’image du pays et tirer des bénéfices économiques. Mais ils voulaient être la référence de la zone des pays du Golfe dans tous les domaines. Cela s’est illustré par un décret qui obligeait les investisseurs étrangers à installer leur siège social en Arabie Saoudite s’ils voulaient faire du business avec le gouvernement. C’était une manière de rivaliser avec Dubaï aux Émirats Arabes Unis et avec le Qatar, qui a fait un grand bond en avant avec l’organisation de cette Coupe du monde 2022 très réussie.»

Le local avant tout et la réforme des étrangers

Grâce à ses réformes économiques, l’Arabie Saoudite s’est obligée à se développer de manière saine et toujours en utilisant le football comme facteur X des progrès de sa société. Pour se moderniser petit à petit. La politique est d’ailleurs très claire à ce sujet : le local avant tout, dans tous les domaines. «Ils essayent de promouvoir leur pays et de créer le propre éco-système. On remarque maintenant que les sponsors et équipementiers des équipes, ce sont souvent des marques saoudiennes. Ils s’auto-gèrent financièrement. Le championnat se rapproche de ce qui se fait de mieux et il continue de se développer», ajoute Hermach. Exemple concret avec le club d’Al Nassr. Pendant plusieurs saisons, le club saoudien avait comme sponsor principal Etihad, compagnie aérienne émirati très réputée. Depuis peu, c’est la société saoudienne Shurfah (un géant de l’immobilier du pays) qui est présente sur le maillot du nouveau club de Cristiano Ronaldo. Même chose pour l’équipementier Duneus, une marque saoudienne très connue du monde arabe qui a récemment remplacé Victory sur les maillots. C’est aussi le cas du plus gros club du pays Al Hilal. Après avoir passé plusieurs saisons avec comme sponsor maillot Emaar (société immobilière émiratie), le club affiche désormais Blu Store, une société saoudienne liée à la vente d’articles de sport.

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Ces petits changements, qui peuvent paraître insignifiants aux premiers abords, ont eu un grand impact sur le Royaume et donc directement sur le football local. Mais pour rayonner dans le football, il ne suffit pas d’être solide économiquement, il faut aussi répondre présent sur le terrain. Car les fans ne s’attachent pas à des pirouettes financières mais bien aux performances des joueurs. Et ça, les dirigeants saoudiens l’ont bien compris. Et très vite. Une réforme en particulier va propulser le football saoudien dans une autre dimension : le nombre de joueurs étrangers par club. Il est ainsi passé de 3 à 8 en 2018. «C’est vraiment l’axe d’amélioration principal. Quand je jouais là-bas, c’était 3 étrangers maximum par équipe. Puis, on est passé à 4 et maintenant 8. Al Hilal par exemple pouvait se permettre d’avoir une attaque : Giovinco-Gomis-Carillo avec les meilleurs joueurs d’Asie en plus derrière. Ils n’attirent pas que des joueurs en fin de carrière. Il manquait cette superstar pour convaincre d’autres d’arriver. Al Nassr avait Amrabat, Hamedallah et Musa. Al Hilal a maintenant Marega, Ighalo etc. Des joueurs qui peuvent jouer en Ligue 1», souligne Adil Hermach. Cette réforme a directement impacté les résultats des clubs saoudiens en Ligue des champions asiatique. Depuis, Al Hilal a remporté deux fois la C1 (sur les trois dernières éditions). En moyenne, le onze titulaire des équipes du championnat saoudien est composé de 5 à 6 joueurs locaux. Les plus grosses écuries peuvent avoir des compositions types avec 7 joueurs étrangers.

Une rivalité avec le Qatar

Des résultats qui ont de quoi donner le sourire aux dirigeants saoudiens. D’autant plus qu’ils confirment la tendance des dernières années : le niveau des équipes saoudiennes surpasse de loin celui du voisin qatari, principal rival du Royaume. Seul Al Sadd du Qatar, ancien club de Xavi, a réussi à glaner une Ligue des champions sur la dernière décennie. Mais le Qatar a frappé un très gros coup en récupérant le Mondial 2022 et en faisant du PSG sa figure à l’international. Pour beaucoup, c’est même ce qui a poussé l’Arabie Saoudite à révolutionner son sport et à s’intéresser plus globalement à l’organisation d’événements sportifs. «Ce serait réduire la politique saoudienne. Le Qatar est un facteur, mais ce n’est pas que ça. Mais les deux pays sont dans cette mentalité de dire : "tu fais ça ? Alors moi, je le fais, mais en mieux." Et l’Arabie Saoudite a les ressources pour le faire. Ils vont déjà montrer ce qu’ils savent faire en organisant la Coupe d’Asie 2027, puisque l’Inde s’est retiré. Ils sont en course pour organiser la Coupe d’Asie féminine en 2026, ce qui est très symbolique puisque les femmes ne pouvaient pas conduire il y a trois ans encore. Et ils veulent avec la Grèce et l’Égypte (candidature commune) organiser le Mondial en 2030. Ils voulaient plusieurs continents dans leur candidature, car ils savent que la FIFA ne donnera pas deux fois dans la même décennie le Mondial à un même continent», estime tout de même James Dorsey. Outre, les organisations de compétitions, l’Arabie Saoudite a aussi investi dans le football européen, comme récemment avec Newcastle, racheté par le PIF (Fonds public d’investissement d’Arabie saoudite).

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Contrairement à ses voisins du Moyen-Orient, l’Arabie Saoudite peut aussi se vanter d’avoir une population très investie dans le football. Les stades attirent régulièrement des milliers de spectateurs et le championnat est très médiatisé. La moyenne des spectateurs dans les stades pour les plus gros clubs tourne autour de 15 000 par rencontre. Le club d’Ittihad a la plus grosse moyenne avec 28.000 supporters par match en moyenne, devant Al Nassr, qui a une moyenne de 15.000 supporters. Les rencontres sont donc suivies au pays, mais pas que. «Quand je suis arrivé, j’étais choqué de l’engouement pour le football en Arabie Saoudite. Les supporters te reconnaissent à Los Angeles, à Paris ou même en Corée du Sud. Il y a du monde au stade. C’est parfois même démesuré. Ça fait trois jours que j’essaye de m’imaginer comment va faire Cristiano Ronaldo et sa famille pour vivre là-bas. La ferveur se rapproche de ce qui se fait dans les pays du Maghreb ou en Argentine. Moi, au moment où je suis là-bas, il y a très peu de loisirs en dehors du football, il n’y a pas de cinémas ou de concerts, donc les gens ne pensent qu’au foot. J’ai déjà fait des entraînements devant 9000 personnes. C’est un pays fou de football. Les matches des équipes réserves sont télévisés là-bas», se rappelle ainsi Adil Hermach. Le gouvernement a d’ailleurs su habilement tirer profit de l’engouement pour le football dans le pays. L’euphorie lors de la victoire de l’Arabie Saoudiete face à l’Argentine l’illustre. La présentation de Cristiano Ronaldo à Al Nassr et les 140 000 demandes de billets aussi.

L’arrivée de Cristiano Ronaldo, un symbole sportif et politique

Justement, la star portugaise arrive donc pour découvrir un nouveau continent et un nouveau football à quasiment 38 ans. Une fin de carrière ? Pas vraiment, tant il a montré il y a moins d’un an qu’il faisait encore partie des meilleurs joueurs du monde. «Pour moi, ce n’est pas la fin de ma carrière de venir en Arabie Saoudite. (…) C’est une grande opportunité, pas que dans le foot, mais aussi pour changer les mentalités des nouvelles générations. (…) C’est une chance d’aider au développement de beaucoup de choses, dont le football féminin. Donner une vision différente du pays, du football. C’est pourquoi j’ai accepté cette opportunité. Je sais que le championnat est très compétitif», confiait-il lors de sa présentation. Il ne s’est évidemment pas trompé en expliquant qu’il incarnait bien plus qu’un footballeur. L’Arabie Saoudite a désormais dans son championnat un monument du football et compte bien en faire un véritable figure pour la politique du pays sur les prochaines années, à commencer par l’espoir du Mondial 2030. «L’arrivée de Cristiano Ronaldo, c’est plus qu’un ambassadeur. Il a signé trois ans en tant que joueur. Mais le choix pour le pays organisateur du Mondial 2030 est en 2024. Si l’Arabie Saoudite gagne, il sera un ambassadeur. Il sera associé au football saoudien pour la prochaine décennie et il sera bien payé pour ça. Un peu comme l’a été David Beckham avec le Qatar. Je pense que c’est plus que ça. CR7 va mettre le football saoudien sur la carte du monde. Même si l’Arabie Saoudite l’a déjà fait en battant l’Argentine en phase de groupes du dernier Mondial. Mais, il fera passer un cap à ce pays. Il va développer le sport. L’Arabie Saoudite est encore en retard dans le monde arabe quand on regarde, le Maroc, l’Algérie ou l’Iran par exemple. Mais ils ont des ambitions», conclut James Dorsey.

Au-delà de tout ce qu’il y a autour, l’arrivée de Cristiano Ronaldo est surtout un très gros coup sportif pour le club d’Al Nassr, qui compte déjà dans ses rangs Alvaro Gonzalez, Luiz Gustavo, David Ospina ou encore Vincent Aboubakar. Sportivement, l’ancienne légende du Real Madrid va donc avoir un grand rôle dans son équipe qui est entrainée par Rudi Garcia. Surtout que le club est à la lutte pour le titre (leader mais avec un match en plus et seulement 3 points d’avance sur le 5e du classement) et rêve secrètement de remporter la Ligue des champions l’année prochaine. Les clubs concurrents, et les autres dirigeants, voudront aussi taper fort pour répondre à Al Nassr. Difficile néanmoins de faire mieux qu’un CR7 actuellement en gros coup. Surtout que l’international portugais risque d’avoir de quoi s’exprimer et marquer des buts. Mais attention à la surprise de niveau… «Si Cristiano Ronaldo ne performe pas là-bas, tout le monde dira qu’il est cramé. Personne ne dira que c’est le Championnat qui a progressé. Ça me dérange un peu. On n’est pas assez curieux. Moi le premier parce qu’avant de rejoindre ce championnat, j’avais beaucoup d’a priori. J’espère qu’il n’y aura plus de frein avec l’arrivée de CR7. Moi, je connais des joueurs français qui me disaient : "j’ai une offre d’Arabie Saoudite, je n’ai pas envie d’y aller je veux aller à Dubai". Ils ne savent pas que le championnat saoudien est un passeport pour tous les autres championnats. Ces mêmes joueurs n’ont pas de clubs maintenant. L’arrivée de Cristiano Ronaldo va permettre à d’autres joueurs de suivre. Avant, les clubs étaient capables d’attirer des bons joueurs de Ligue 1 ou Liga, maintenant, ils vont, dans un futur proche, pouvoir taper plus haut», précise Hermach. Les prochaines années du football saoudien ont tout pour être radieuses. Et l’organisation du Mondial 2030 viendrait couronner une politique foot quasi-parfaite du gouvernement sur ces dernières années. Réponse en 2024.

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