Guy Roux : « je n'ai pas pensé à être le Vercingétorix du football »
À l'occasion de la sortie du documentaire Guy Roux, une histoire de France sur Amazon Prime Video, Foot Mercato est allé à la rencontre d'un Guy Roux authentique, fidèle à lui-même et toujours passionné après une vie entière consacrée au football et à l'AJ Auxerre.

L'histoire d'une légende. Voilà l'objet du nouveau documentaire biographique Guy Roux, une histoire de France, signé Lionel Rosso, diffusé sur Amazon Prime Video depuis le 1er septembre et réalisé par David Tessier. C'est dans ce contexte que Foot Mercato a pu rencontrer ce monument du football français, dans un hôtel parisien. L'occasion pour l'ancien entraîneur emblématique de l'AJ Auxerre (1961-2005) de revenir sur plusieurs aspects marquants de sa carrière, son incroyable longévité en Bourgogne, d'évoquer ses relations avec différentes personnalités du ballon rond, mais aussi de livrer de nombreuses anecdotes dont il est à l'origine et qui n'ont d'égal que sa passion intacte pour le football.
« C'est le quatrième film, mais c'est le premier qui est une œuvre professionnelle », commence par situer Guy Roux au sujet de ce documentaire qu'il a regardé la première fois « en vacances en Crête, avec sa famille, sur un ordinateur, dans une salle sombre et en silence, avec tout le monde bien placé », poursuit-il, toujours avec le sens du détail. Pendant 90 minutes, Guy Roux et ses proches ont, grâce à cette œuvre produite par Les Créateurs d'Émotions Films, pu revivre la fabuleuse histoire de l'homme aujourd'hui âgé de 83 ans, dont le nom est historiquement et sera pour toujours lié à celui de l'AJ Auxerre.
« Le grand problème de l'entraîneur, c'est l'angoisse. »
À défaut d'avoir pu devenir international français, comme il en rêvait dès son plus jeune âge, Guy Roux est devenu une véritable légende de son sport. D'abord en plaçant Auxerre sur la carte de France. Puis en emmenant l'AJA, alors en DH et habituée du monde amateur, sur les sommets de l'Hexagone ainsi qu'au plus haut niveau en Europe. « Non, je n'ai pas pensé à être le Vercingétorix du football, dont on parlerait en polémiquant en plus, comme on polémique sur la bataille d'Alésia », résume, avec son humour légendaire, celui qui détient le record du nombre de matchs dirigés en Ligue 1 (894 matchs entre 1980 et 2007).

© Amazon Prime Video
Marqué par le poids des années passées dans le football, Guy Roux a tout donné pour l'AJA. « Je sais que j'y ai mis toute ma vie, j'ai sacrifié d'autres aspects de ma vie. Je suis un père de famille heureux et un grand-père aussi, mais j'aurais préféré avoir 5 enfants plutôt qu'un (rires), mais ça ne s'est pas fait. Il y a d'autres moyens pour être heureux que d'être entraîneur de football. Le grand problème de l'entraîneur, c'est l'angoisse. C'est une angoisse permanente qui ne vous lâche que dans les instants où vous avez gagné (rires). Puis après, on reprend, parce que c'est le match suivant qui compte. » Et le natif de Colmar d'ajouter, après avoir assuré que « des gens qui m'aiment bien, il n'y en a pas tant que ça », qu'il fait malgré tout partie de la catégorie « des gents plutôt heureux que malheureux. » Ses sacrifices ont en tout cas payé sur le plan sportif.
Ses rendez-vous manqués avec les Bleus
Il s'est façonné un impressionnant palmarès avec 1 titre de champion de France de D1 (1996) et de D2 (1980), 4 Coupes de France (1994, 1996, 2003 et 2005), 1 Coupe Intertoto (1997). Celui qui a aussi atteint les demi-finales de la Coupe de l'UEFA et les quarts de la Ligue des champions (son grand regret est de ne pas avoir remporté une Coupe d'Europe) a été plusieurs fois nommé entraîneur français de l'année France Football (1979, 1986, 1989 et 1996). Il a aussi révélé ou fait éclore de nombreux grands talents (Basile Boli, Jean-Marc Ferreri, Éric Cantona...). De quoi attirer les regards de l'équipe de France, dont il aurait pu devenir sélectionneur à deux reprises lors de son règne de 44 ans à Auxerre.
« J'ai eu deux occasions pour l'équipe de France. Une après Gérard Houiller après le but de la Bulgarie, en 1993. Mais j'avais une équipe de jeune que je préparais. La preuve, on a fait le doublé trois ans après, donc j'avais eu raison de refuser. Par contre, après Aimé Jacquet 98, je vais vous dire pourquoi. Il y avait toute la presse française, surtout tous les présidents de clubs pros, qui voulaient que je prenne l'équipe de France pour être débarrassés de moi et d'Auxerre dans le championnat, et avoir une place de plus en Coupe d'Europe. Et là, mon président m'a dit "vous n'êtes pas libre, vous avez un contrat avec la Fédération, respectez votre contrat". Il a rappelé à la Fédération qu'elle devait respecter ce contrat avec moi. Il n'y a rien à redire, sinon que ça m'a fait beaucoup de peine et que j'étais choqué profondément, sans en vouloir à mon président, qui défendait son club. J'ai fait cette année-là une mauvaise année, l'une des deux plus mauvaises de mes 25 années. Mais bon, c'est reparti après car j'ai fait les 4 meilleures années ou presque, avec une Ligue des champions, trois Coupes d'Europe, gagner deux Coupes de France et des bons classements. C'est comme ça, c'est le déroulement d'une carrière. »
Guy Roux sur Sir Alex Ferguson : « si on se voyait plus, on serait amis. »
L'une de ses plus grandes réussites restera peut-être Éric Cantona, parti d'Auxerre pour aller à l'OM avant de filer en Angleterre, à Leeds, puis de devenir le King de Manchester United. C'est par ce biais que Guy Roux a pu rencontrer Sir Alex Ferguson, d'ailleurs présent dans le casting du documentaire. « Quand il a voulu acheter Cantona à Leeds, il nous a demandé de le recevoir avec son frère, se souvient Guy Roux au sujet d'une autre légende dont il a mis les qualités en lumière. Je l'ai reçu une journée entière, on a été à Chablis, dans un caveau, puis il m'a renvoyé du whisky. On avait un interprète, on échangeait beaucoup pendant 10 heures entre le matin à l'aérodrome d'Auxerre et le soir. Puis un jour, TF1 m'a demandé, le jour du dernier match de Coupe d'Europe de Cantona, de l'interviewer. Il n'avait donné aucune interview à aucun Français depuis un an. Il a accepté, mais c'est Ferguson qui a tout organisé, de donner une salle, de me recevoir, de m'offrir un bon pot, tout ça. Lui aussi, il a eu des problèmes de santé. Je lui ai écrit un mot. On se respecte beaucoup. Si on se voyait plus, on serait amis. »

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Guy Roux, un père Fouettard parfois très calme : « choisissez toujours l'intelligence et battez l'émotion. »
À travers le documentaire de Prime Video, les téléspectateurs découvrent de nombreuses anecdotes liées à Guy Roux et son management hors norme. Les histoires de boîtes de nuit font partie des classiques. Mais l'ancien coach de l'AJA n'a pas toujours eu le rôle du père Fouettard auprès de ses joueurs et savait s'adapter. « Nous gagnons à Valence en demi-finale, je crois, de Coupe de France, nous rentrons d'assez bonne heure en avion. Nous avions joué à 18 heures, nous arrivons vers 22 ou 23h à Auxerre. Et de l'aérodrome, je vois toutes les voitures qui partent. Je me dis "ça, c'est direction la boîte de nuit". Donc je suis, j'attends un peu et j'arrive sur le parking où je vois toutes leurs voitures dont je connaissais par cœur la silhouette et la plaque d’immatriculation. Et là, je reste dans ma voiture. J'ai un principe. Je vous le donne, je l'ai donné à personne. Quand vous avez une décision à prendre, choisir entre l'intelligence ou l'émotion. Choisissez toujours l'intelligence et battez l'émotion. J'ai appliqué ce principe. Je suis resté 15 minutes dans ma voiture. Et je suis rentré chez moi. Pourtant, on avait un match trois jours après en championnat. Je me suis dit "si jamais je fais un esclandre, je les vide de la boîte de nuit, ils sont tous contre moi et samedi, on ne va pas jouer contre nos adversaires, on va jouer contre Guy Roux". Donc je suis rentré dormir. [...] Dans le footing qu'on faisait à l'échauffement, je me suis mis à côté d'eux. Ils ont compris que je savais et que je ne dirais rien. Et on a gagné le match qui suivait. Je savais que j'avais pris la bonne décision, je n'avais pas de doute. »
Beaucoup, comme Djibril Cissé ou Éric Cantona, « un garçon éprouvant », parlent malgré tout de Guy Roux comme d'un deuxième père, ou d'un membre de leur famille. « Ce n'était pas forcément quelque chose que je désirais, ça s'est fait comme ça, précise celui qui soufflera ses 84 bougies le 18 octobre prochain. J'ai suivi la ligne. Je n'ai pas toujours eu l'impression que je les aimais, croyez-moi (rires). Le technique passe après l'humain. L'humain n'a aucune chance de durer. Aimer les joueurs, ça ne suffit pas. Il faut arriver à communiquer sans se brûler, c'est très difficile. »

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Cette gestion des hommes a quoi qu'il en soit porté ses fruits à merveille au fil des années. De là à imaginer qu'un Guy Roux en 2022 soit imaginable ? Là où beaucoup n'y croient plus avec l'exigence et l'immédiateté du football moderne, le principal concerné laisse la porte ouverte. « Pourquoi pas. Il faut un courageux. » Une chose est sûre, l'ombre de Guy Roux plane encore du côté de l'Abbé Deschamps, alors que l'AJ Auxerre a fait son grand retour en Ligue 1 après 10 ans à végéter en Ligue 2. Malgré les 4 descentes en fin de cette saison 2022-2023, l'emblématique figure auxerroise ne voit pas les hommes de Jean-Marc Furlan, qu'il continue d'ailleurs d'aller visiter régulièrement, retourner en L2. La meilleure façon de faire honneur à l'héritage laissé par Guy Roux à Auxerre.