L’Italie se barricade déjà avant le match polémique contre Israël
À la veille du match de qualification entre l’Italie et Israël, Udine se transforme en ville sous surveillance. Entre appels au boycott, manifestations pro-palestiniennes et dispositif de sécurité maximal avec la présence de l’armée italienne et des agents du Mossad, la tension monte autour d’une rencontre à haut risque, bien au-delà du terrain.

Mardi soir, à Udine, l’Italie affrontera Israël dans un match décisif pour les éliminatoires de la Coupe du monde 2026. Les Azzurri, deuxièmes de leur groupe derrière la Norvège, doivent impérativement s’imposer pour conserver leur avance sur Israël, troisième à un point. Sur le plan sportif, la rencontre a tout d’une petite finale, mais le contexte politique et social qui l’entoure en a fait, depuis plusieurs semaines, bien plus qu’un simple rendez-vous de football. Dans la ville frioulane, l’atmosphère est électrique, entre appels au boycott, manifestations et dispositif de sécurité exceptionnel, la tension monte à mesure que le coup d’envoi approche. Depuis plusieurs mois, la tenue de ce match suscite débats et crispations en Italie : « Nous devons travailler la concentration et ne pas nous laisser emporter par tout ce qui vient de l’extérieur. L’ambiance n’est certes pas au beau fixe, mais nous devons nous concentrer sur notre jeu. Nous allons à Udine et nous savons qu’il n’y aura pas beaucoup de supporters. Je comprends cela, je comprends vos inquiétudes. Nous savons que nous devons jouer le match, sinon nous perdrons 3-0. C’est triste de voir ce qui se passe, c’est déchirant, mais on ne peut pas dire que l’ambiance soit paisible. On le sait bien. Il y aura 10 000 personnes à l’extérieur du stade et 5 000 à 6 000 à l’intérieur. On aurait préféré une ambiance comme celle que nous avons connue à Bergame », a précisé Gennaro Gattuso, qui avait déjà parlé de ce sujet en septembre. Le climat s’est encore alourdi ces dernières semaines, sur fond de regain diplomatique au Moyen-Orient.
La reconnaissance de la Palestine, au dernier sommet de l’ONU à New York, par plusieurs pays dont la France, la Belgique, le Royaume-Uni, le Portugal, le Canada ou encore l’Australie, la libération à venir des otages israéliens et l’annonce d’un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, négocié sous l’égide du président américain Donald Trump, ont apporté un souffle d’espoir. Mais en Italie, ces nouvelles n’ont pas suffi à apaiser les esprits. Pour de nombreux militants italiens, l’organisation du match d’Udine constitue une forme de normalisation des politiques israéliennes. Le débat, d’abord cantonné aux cercles militants, s’est progressivement invité dans la sphère politique et médiatique, transformant l’événement sportif en symbole des tensions persistantes autour du conflit israélo-palestinien. Surtout que le scénario de la confrontation de septembre avait déjà mis le feu aux poudres avec plusieurs provocations des joueurs et du staff italiens, selon les membres de la sélection israélienne. Sans oublier les déclarations de Gattuso qui n’ont pas du tout été digérées en Israël, alors même que l’entraîneur italien s’en était pris à l’attaquant israélien Dor Turgeman à la fin de la rencontre (5-4).
De grandes manifestations attendues
À deux jours du match, Udine se prépare à accueillir une large mobilisation pro-palestinienne. Une manifestation est prévue lundi 13 octobre, confirmée par plusieurs organisations, dont le Comité pour la Palestine d’Udine, la Communauté palestinienne du Frioul-Vénétie Julienne et de la Vénétie, BDS Italia, ainsi que les collectifs Salaam Ragazzi dell’Olivo Trieste et Calcio e Rivoluzione. Dans un communiqué commun, les organisateurs affirment vouloir « exiger la fin de l’occupation israélienne et la justice pour le peuple palestinien ». Sur le terrain, les préparatifs sont déjà visibles : une banderole de dix mètres, noire sur fond jaune, semblable à celles d’Amnesty International, a été déployée dimanche dans le centre-ville avec l’inscription « Stop au génocide à Gaza ». Riccardo Noury, porte-parole d’Amnesty Italie, a accompagné les militants jusqu’au stade Friuli pour appeler à une « prise de position claire du monde du sport ». « La tension est palpable. Plusieurs arrêtés spéciaux ont été pris pour garantir la sécurité, la circulation sera modifiée et les forces de l’ordre seront renforcées. Malheureusement, pour un événement comme celui-ci, la tension est quasiment inévitable. Heureusement, il n’y a pas de raison particulière d’être pessimiste ; par le passé, les forces de l’ordre ont toujours fait leur travail dans cette région et les manifestations ont toujours été pacifiques. Je dirais qu’il n’y a pas de crainte particulière dans cette situation », nous confie Davide Marchiol, journaliste basé à Udine pour TuttoUdinese. Le message, relayé sur les réseaux sociaux, appelle la FIFA et l’UEFA à suspendre la participation d’Israël tant que la Fédération israélienne n’aura pas rompu ses liens avec les clubs installés dans les colonies.
Sur le plan politique, la tenue de cette marche divise profondément. Le parti de centre-droit d’Udine a demandé au maire Alberto Felice De Toni d’intervenir pour annuler la manifestation ou la transformer en sit-in (rassemblement statique avec des manifestants assis au sol). Ses élus jugent « incompréhensible » qu’une marche de contestation soit maintenue au moment où une trêve a enfin été conclue au Proche-Orient. Dans un communiqué, ils saluent le retrait de l’armée israélienne de Gaza et la réouverture des couloirs humanitaires, estimant que « si Israël et le Hamas ont déposé les armes, les manifestants devraient pouvoir déposer leurs mégaphones ». Les organisateurs, eux, dénoncent une tentative de « criminalisation du mouvement pro-palestinien » et affirment que plus de 10 000 personnes sont attendues dans les rues d’Udine mardi avant le match. Ils assurent que la marche sera pacifique et encadrée, rejetant toute accusation d’incitation à la haine. « Nous ne voulons pas semer la peur, mais rappeler que le sport ne peut pas normaliser l’apartheid, l’occupation et le génocide », précisent-ils. L’optimisme peut donc être de mise : « Je suis néanmoins optimiste, car l’organisation à Udine a toujours été irréprochable. Même lors des précédents événements de ce type, tout a toujours été parfaitement géré. Udine a prouvé sa capacité à accueillir des événements de cette envergure. Ce n’est pas un hasard si c’est la deuxième fois qu’Italie-Israël s’y joue », explique Stefano Pontoni, journaliste à Udine.
Un dispositif de sécurité XXL
Face à ces tensions, les autorités italiennes ont décrété un niveau d’alerte 4, soit le plus élevé. Le préfet d’Udine, Domenico Lione, a signé un arrêté classant le match parmi les événements à « risque extrêmement élevé ». Le gouvernement, en coordination avec la FIGC et les forces locales, a mis en place un dispositif de sécurité sans précédent. Près d’un millier d’agents venus de toute la région du Triveneto seront déployés dès lundi soir avec des forces de l’ordre, des unités antiterroristes, des équipes cynophiles et une surveillance aérienne par hélicoptères. Autour du stade Friuli, une vaste « zone rouge » a été instaurée avec le retrait du mobilier urbain. La vente de boissons en verre ou en bouteille sera interdite, et les commerces devront fermer leurs terrasses. Les supporters seront soumis à des contrôles renforcés dès un kilomètre des grilles du stade, avec détecteurs d’armes et de substances explosives. Udine se prépare donc à vivre une journée sous tension. Le Comité pour l’ordre public et la sécurité se réunit quotidiennement pour ajuster le plan de surveillance, tandis que la préfecture redoute l’infiltration de groupes violents au sein des cortèges. « Udine et le Frioul ont déjà démontré par le passé leur capacité à gérer des événements aussi inhabituels. La Supercoupe de l’UEFA, qui ne disposait pas de toutes les infrastructures non liées au football dont bénéficie ce match, en est un exemple unique. L’année dernière, le match entre l’Italie et Israël s’est joué à Udine, avec des manifestations, et tout s’est déroulé sans accroc », a conclu, à notre micro, le journaliste Davide Marchiol. Contactée par Foot Mercato, la municipalité d’Udine nous a confirmé qu’« une dizaine de réunions » était encore prévue « avant mardi soir », et que de « nouvelles décisions » pourraient être prises « dans les prochaines heures » pour renforcer un peu plus la ville et ses alentours.
L’équipe israélienne, qui s’est déjà déplacée la semaine dernière à Oslo, sera hébergée dans un lieu tenu secret et devrait atterrir à Venise, voire en Slovénie (frontière à 254 km) pour éviter toute fuite de son itinéraire. Elle sera escortée et placée sous protection 24 heures sur 24. La présence du Mossad a fait l’objet d’une controverse politique. Si le ministère de l’Intérieur n’a pas officiellement autorisé les agents israéliens à opérer, leur participation reste probable pour des raisons de sécurité nationale. Dans le stade, l’ambiance pourrait être morose puisqu’à peine 5 000 billets ont été vendus sur les 25 000 places disponibles. « L’inquiétude règne quant à ce qui pourrait arriver. Une manifestation de ProPal est prévue, avec le risque qu’elle dégénère en affrontements avec les forces de l’ordre. L’atmosphère est très tendue. C’est pourquoi si peu de gens souhaitent assister au match au stade. La peur est palpable, et c’est dommage, car le sport devrait toujours être un moment de fête et de partage, et non un outil d’action politique », nous détaille Stefano Pontoni. Un contraste saisissant avec les enjeux sportifs du match que la FIGC aurait préféré voir se dérouler dans un climat plus apaisé. La ville d’Udine, d’ordinaire tranquille, vit désormais au rythme des réunions de sécurité et des communiqués politiques. Pour les autorités, l’objectif est d’éviter que la confrontation sportive ne se transforme en incident diplomatique. Car si le football reste le prétexte du rassemblement, c’est bien la situation géopolitique du Proche-Orient qui s’invite dans les rues et les tribunes italiennes. Mardi soir, lorsque Clément Turpin sifflera le coup d’envoi, l’Italie et Israël ne joueront pas seulement pour trois points, mais c’est une partie de leur image, et un peu de la paix fragile du moment, qui se jouera à Udine.
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