Sur les traces du jeune défenseur Emerick Eckert, le Français de Slovénie

Par Mathieu Rault
11 min.
Emerick Eckert évolue sous les couleurs de NK Bravo, club de Ljubljana @Maxppp

Seul Français évoluant dans le championnat de Slovénie, le défenseur central Emerick Eckert s’est confié à Foot Mercato sur son expérience, de Krško à Ljubljana, en passant par la Bourgogne.

Après deux mois de confinement chez ses parents en Bourgogne, Emerick Eckert a regagné la Slovénie, avec sa compagne et ses deux compagnons, Navy et Naya, chien et chat. Un périple de 1200 km en voiture, d’Arcy-sur-Cure, commune de 500 âmes nichée au sud du département de l’Yonne, jusqu’à Ljubljana, capitale de la « Suisse des Balkans » qui compte 2 millions d'habitants, plus connue pour ses stations de ski que pour son football, avec à l’arrivée un chevreuil kamikaze en guise de comité d’accueil.

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En Slovénie, Emerick Eckert s’y est installé l’été dernier. Après un passage réussi à Gueugnon (N3), il prend la direction d’Ajaccio, où il espère un contrat mais se retrouve au chômage. Et après une année de foot sans alchimie, marquée par une blessure au pied, le joueur espère enfin toucher son premier contrat pro. « Pas pour le chèque, mais simplement pour le statut après tous les efforts auxquels j’avais consenti ». Ce ne sera pas en Corse. C’est alors que survient l’idée d’un exil.

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Bienvenue en Slovénie !

La 2. Slovenska Nogometna Liga, deuxième échelon du foot pro slovène, vient frapper à la porte du joueur, d’alors 21 ans. «Krško, je crois», prononce, incertain, Emerick Eckert dans la langue locale. « Après Ajaccio, j’avais envie de trouver un projet en National, quitte à débuter remplaçant. J’ai eu des touches en France, mais le club a eu des soucis financiers et a été rétrogradé. Mon agent de l’époque avait un contact dans les Balkans, condition obligatoire pour venir jouer ici ». Il lui propose Krško, club où a débuté un certain Robert Berić.

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Avec comme seule compagnie quelques affaires de foot, le joueur rallie Zagreb, puis Krško, ville de 7 000 courageux située au sud-est de la Slovénie, à quelques kilomètres de la frontière avec la Croatie. Sur les bords de la Save, c’est à l’hôtel, comme le reste de ses coéquipiers du NK Krško et les employés de l’unique centrale nucléaire du pays qu’il s’installe. « On avait notre étage et les gars de la centrale avaient le leur. A part de vagues souvenirs de mes cours de géographie à l’école, je ne connaissais rien de la Slovénie », reconnaît Emerick.

De la centrale nucléaire de Krško à la capitale

Chez les Nucleari (littéralement les gars du nucléaire), Emerick Eckert prend le train en Je marche. « J’ai fait une semaine d’entraînement. Le coach a aimé ce qu’il a vu et j’ai signé un contrat amateur... alors qu’on m’avait promis un contrat pro. Le week-end suivant j’étais titulaire et je n’ai plus quitté l’équipe ». À Krško, le terrain d’entraînement est situé face à la centrale qui fournit 40% de l’électricité du pays. « Ça ne m’a pas fait grand-chose, mais je me disais quand même « bon, faut pas que ça pète » ».

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Au Matija Gubec Stadium, antre de 1400 sièges du NK Krško, qui attire plus de monde pour les compétitions de speedway que pour les rencontres du club de foot local, Emerick Eckert se montre à son avantage. Après 15 matches comme titulaire, il ntègre à la trêve hivernale le NK Bravo, formation de première division, en vue de la deuxième partie de saison. Liquidé et reparti de zéro en 2006, le NK Bravo est parvenu à monter les échelons, passant de D5 à D1, en six saisons.

Deuxième club de Ljubljana, moins côté que l’Olimpia, qui occupe la tête du championnat, Bravo découvre cette année la Prva Liga. Emerick et ses coéquipiers sont appelés les Šiškarji (Littéralement les gars de Šiška), du nom du district où évolue le club, le plus peuplé de la capitale. « À Ljubljana, tu as Bravo et puis tu as l’Olimpia, le grand club qui joue les qualifications pour la Ligue des champions », explique le joueur, qui espère très prochainement avoir la chance de disputer un derby.

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La vie à la slovène

Après avoir déprimé quelques temps dans une chambre chez l’habitant, Emerick Eckert vit désormais le long de l’interminable rue Prusnikova, qui s’échappe au nord de la capitale. Pour éviter les 45 minutes à pied, il rejoint le centre d’entraînement en trottinette. Si le club fournit les repas, le joueur cherche à éviter les pièges de la gastronomie locale. « C’est très bon, sincèrement. Mais si je mange tous les jours local, c’est sûr que je deviens obèse. Je crois qu’ils aiment bien la sauce ».

À Ljubljana, Emerick trouve le côté urbain agréable, mais les loyers un peu chers. « Quand tu passes de Krsko à Ljubljana, ça te fait tout drôle. Selon les régions, les prix sont très différents. Ici, dans la capitale, on sent l’empreinte européenne. Tu as un Leclerc, où tu trouves des produits français. J’ai aussi rencontré deux ou trois jeunes Français. En France, tu ne ferais pas ça, mais là ça fait du bien d’entendre une langue que tu connais, donc tu vas voir les gens et tu discutes avec eux ».

Au NK Bravo, seuls trois joueurs ont atteint les 30 ans. « C’est plutôt bien qu’on soit tous à peu près de la même génération, même si moi je vis ça un peu de mon côté, du fait de la barrière de la langue », regrette Emerick. Ses coéquipiers parlent tous couramment anglais. Lui est encore en phase d’apprentissage. Sur le terrain, il se débrouille. « J’ai appris deux ou trois mots de slovène, comme gauche ou droite, pour pouvoir les diriger un petit peu. Mais ici, si tu as envie de crier sur un joueur parce qu’il fait mal les choses, tu ne peux pas parce que tu ne sais pas le dire ».

Vivre du football en Slovénie

En Slovénie, le football est bien moins médiatisé qu’en France, explique Emerick. « Il n’a peut-être pas la même valeur non plus. En France, c’est le sport numéro un. En Slovénie, je n’en suis pas certain. Mais il est évident que les deux situations sont difficilement comparables. Un salaire minimum en Ligue 1 ça va être 30 000 euros, ici ce sera plutôt l’équivalent du SMIC » prévient le défenseur, qui explique vivre difficilement de son métier dans les Balkans.

« Oui, tu peux vivre du football en Slovénie. Mais quand tu viens ici, il ne faut pas t’attendre à toucher 5 ou 6 milles euros. À part si tu joues à Maribor ou à l’Olimpia peut-être. Je pense que tu vis du football, mais je ne sais pas dans quelles conditions. En payant l’assurance de ma voiture en France, mon appartement en Slovénie, les courses et les à côté, clairement je finis le mois, je suis pris à la gorge. Je pense que si tu es en couple, tu t’en sors. Tu ne vas pas t’acheter des Louboutin tous les jours, mais ça va ».

De toute façon, l’argent n’a jamais été une source de motivation pour le joueur. « Je suis quelqu’un de modeste, je sais d’où je viens. C’est aussi pour ça que je ne cours pas après l’argent. Je veux d’abord me construire par rapport au football, l’argent ça viendra. Si demain je dois gagner 100 000 euros, je les gagnerais. Si demain je dois toucher le salaire de monsieur tout le monde, très bien. Je n’ai pas envie d’aller dans un club pour prendre de l’argent et dénigrer le football ».

Plus technique que la Ligue 2 française

Le football, Emerick Eckert le respecte et ce dernier lui rend bien. Sur le terrain, il s’éclate. « Ici, je trouve ça beaucoup plus technique que la Ligue 2 française ou le National et moins dans le combat. Après, tout dépend du club. L’Olimpia et Maribor, ça joue les qualifications pour la Ligue des champions, ça a clairement le niveau Ligue 1. Un bon Dijon par exemple. À Bravo, on a le niveau Ligue 2, à la différence que c’est moins basé sur le physique qu’en France. On est plus dans la conservation, dans la recherche d’un beau mouvement pour marquer », vante-t-il.

En Slovénie, les dix équipes qui composent la première division s’affrontent quatre fois par saison. Si le championnat venait à reprendre, il resterait donc 13 journées à Emerick pour se montrer sous les couleurs de Bravo, avec qui il n’a encore disputé aucun match officiel, la faute à une signature tardive cet hiver et à une charnière centrale déjà installée. Septième, le NK devra luter pour le maintien, en compagnie du Tabor Sezana, de Triglav et Domzale. Sous contrat jusqu’à la fin de la saison, s’il ignore de quoi son avenir sera fait, le joueur éprouve une certaine fierté.

« J’ai agité la bâche de la Ligue des champions à l’Abbé-Deschamps »

« En une saison, je suis passé de la D2 à la D1 slovène. On peut dénigrer le championnat slovène, le niveau est sans doute plus faible qu’en France, les salaires sont bien moins conséquents, mais c’est un chemin différent vers un même objectif. C’est aussi une expérience humaine. Et puis on ne sait jamais. Cela peut déboucher sur des expériences du côté de l’Autriche, de l’Italie, ou de la Croatie ». Un moindre mal pour un garçon qui s’est toujours battu pour rendre fier les siens.

Aujourd’hui défenseur central, c’est au poste d’attaquant qu’il se révèle au départ. Motivé par son papa, ancien gardien, il intègre à dix ans l’école de football de l’AJ Auxerre, club phare de la région dont l’équipe première dispute alors la Ligue des champions. « Tu arrives d’un petit club amateur, dans une institution. Tu sais faire quatre jongles, on te demande d’en faire cinquante de chaque pied ». Emerick travaille dur pour arriver au même niveau que les autres. Son obsession.

Les mardi et mercredi soir, il n’accompagne plus son père dans les travées de l’Abbé Deschamps mais fait partie des chanceux qui sur la pelouse agitent la bâche sertie d’étoiles lorsque retentit le célèbre refrain. « Ramasseur de balle en U13, j’ai vu Cristiano Ronaldo, Ibrahimovic, Ronaldinho, de près. Quand tu es jeune, tu as des étoiles dans les yeux ». Désormais âgé de 22 ans, Emerick Eckert rentre toujours dans la case « jeune », mais les étoiles ont pris leurs distances.

Des galères mais du courage

Passé de l’Yonne à l’Aube et de l’AJA à l’ESTAC, avant de rejoindre le FC Bourg-en-Bresse Péronnas, où devenu capitaine des U19 au moment où l’équipe séniors faisait ses débuts dans le monde pro, le chemin menant au niveau supérieur s’est refermé devant lui, mais il n’a rien lâché. « Pour beaucoup qui ne sont pas conservés après le centre de formation, le retour à la réalité dans des clubs amateurs est difficile. Tu prends un coup. Tu te demandes pourquoi. J’ai la chance d’avoir une famille derrière moi. Je me suis aussi construit un mental ».

Le quotidien d’Emerick Eckert a parfois des allures de montagnes russes. En quête de rebond après son escapade burgienne, il fait un essai à Châtellerault (CFA 2), où un entraînement suffit à convaincre les dirigeants. « Le contrat était bêton, ma copine pouvait venir habiter avec moi, j’avais dix-huit ans, je me disais « ça y est, ta carrière se relance ». À la mi-juillet, la DNCG fait son œuvre. Le club est rétrogradé en DH, Emerick Eckert n’a plus rien. Retour à la case départ. Avallon, à côté de chez lui, en Division d’Honneur.

L’entourage

Rémunéré quelques centaines d’euros grâce à un contrat civique, à l’époque il s’en satisfait. « J’ai dix-huit ans, je veux juste jouer au football ». Puis vient Gueugnon. Emerick Eckert est l’un de ces nombreux enfants tombés amoureux du ballon rond au fil des deux-contre-deux dans le jardin familial. Marqué par la perte du quatrième joueur, celui qui apporte l’équilibre, le petit dernier d’une famille de quatre enfants s’est investi de la mission de redonner goût au football à ceux qui chaque jour l’aident à réaliser son rêve.

Une vidéo postée sur ses réseaux sociaux pendant le confinement met en scène Emerick en train de pousser de toutes ses forces le 4x4 de son paternel, harangué par sa compagne, qui a pris place au volant. « Partir, j’y était habitué. Mais partir aussi loin, aussi jeune, sans soutien, c’est dur. Je suis heureux de l’avoir à mes côtés. Je ne peux que lui dire merci. Cela fait six ans qu’elle est là. Elle a fait autant de sacrifices que moi. Elle a arrêté ses études, elle a travaillé quand il a fallu parce que je ne pouvais pas vivre du football ».

Emerick en est certain, dans le foot deux choses sont primordiales. « Éviter les blessures et être bien entouré ». Il y a quelques semaines, le joueur a changé d’agent. C’est un ancien coach de l’AJA qui lui a présenté Antoine, son nouvel allié à peine plus vieux que lui. Avec lui, il compte bien conquérir le championnat slovène, voire même grimper plus haut. En Slovénie, en France, en Espagne ou ailleurs. L’avenir le dira. En attendant, il y a une saison à terminer.

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