Chelsea : pourquoi les Blues multiplient les contrats longue durée ?

Par Maxence - Josué Cassé
9 min.
Reece James, Wesley Fofana, Enzo Fernandez et Mykhaylo Mudryk. @Maxppp

Racheté en mai dernier après le départ forcé de son propriétaire russe, Roman Abramovitch, Chelsea est devenu le club le plus dépensier au monde en l’espace d’une saison. Désormais pilotés par le milliardaire américain Todd Boehly, les Blues enchaînent les ventes sur le marché des transferts avec déjà plus de 600 millions d’euros dépensés depuis l’été dernier. Points communs entre la plupart de ces transactions ? Le contrat longue durée signé par les nouvelles recrues londoniennes. Explication d’une stratégie, aussi avantageuse que risquée, permettant surtout de contourner les règles du fair-play financier…

Déroutant sur le marché des transferts. Décevant sur les pelouses de Premier League. Le constat est terrible mais bien réel au moment d’analyser la dynamique de Chelsea depuis le rachat de Todd Boehly pour une somme record de près de 5 milliards d’euros. Dos au mur sur la scène européenne après la défaite (0-1) face au Borussia Dortmund lors du huitième de finale aller de Ligue des Champions, la formation londonienne pointe, par ailleurs, à une triste dixième place en championnat. Défaits (0-1) par la lanterne rouge Southampton lors de la 24e journée, les Blues, amorphes collectivement, n’ont ainsi remporté que deux (Bournemouth et Crystal Palace) de leurs quatorze derniers matches toutes compétitions confondues ! Un bilan comptable cataclysmique malgré l’activité débordante des dirigeants londoniens sur le dernier mercato hivernal.

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Des contrats XXL, une réglementation spécifique !

En janvier dernier, Chelsea a ainsi investi 330 millions d’euros sur le marché des transferts, soit 72 millions d’euros de plus que les soixante-dix-huit autres équipes des championnats italien, français, allemand et espagnol (258 millions d’euros) ! Outre le transfert entrant le plus cher de l’histoire de la Premier League avec Enzo Fernández, arrivé en provenance de Benfica contre 121 millions d’euros, les Blues ont également attiré Mykhaylo Mudryk (70 millions d’euros), Benoît Badiashile (38 millions d’euros), Noni Madueke (35 millions d’euros), João Félix (un prêt à 11 millions d’euros), Malo Gusto (35 millions d’euros), David Datro Fofana (12 millions d’euros) ou encore Andrey Santos (12,5 millions d’euros), débarqué de Vasco de Gama. Huit nouveaux renforts venant s’ajouter à la liste déjà vertigineuse du dernier mercato estival (Wesley Fofana, 80 millions d’euros, Marc Cucurella, 65 millions d’euros, Raheem Sterling, 56 millions d’euros…).

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Si l’activité énergivore des Blues, bien aidés par les droits TV, le sponsoring de la Premier League et l’apport des nouveaux propriétaires, s’avère, pour l’heure, globalement peu efficiente sur le plan sportif, le club piloté par Todd Boehly se distingue, cependant, avec une stratégie aussi critiquée par la concurrence qu’assumée par la nouvelle direction : les contrats longue durée. Dans cette optique, Chelsea a fait signer à Mykhaylo Mudryk et Enzo Fernandez des contrats de huit ans et demi, à l’ex-Monégasque Benoît Badiashile un bail de sept ans et demi ou encore des contrats de sept ans à Wesley Fofana, de six ans et demi à Malo Gusto et de six ans à Marc Cucurella, Carney Chukwuemeka, Reece James ou encore Trevoh Chalobah. La plupart des recrues ont ainsi émargé jusqu’en 2029, 2030 voire 2031. Si la technique a, aujourd’hui, tendance à faire grincer des dents, notamment en Premier League, elle n’est cependant pas interdite au regard de la réglementation.

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Depuis 2001 et la mise en place du système Monti, la FIFA stipule, certes, que «le contrat d’un joueur professionnel est établi pour une durée minimale allant de la date de son entrée en vigueur jusqu’à la fin de la saison et au maximum pour une durée de cinq ans» mais l’instance internationale laisse paradoxalement la possibilité aux législations nationales de fonctionner ainsi. Résultat, si la France ne peut en profiter, d’autres pays se délectent de cette formule à la carte… Du «contrat à vie» d’Andres Iniesta au Barça à celui d’Iker Casillas au Real en passant par Iñaki Williams et Saúl Ñíguez qui ont respectivement prolongé leur bail de neuf ans avec Bilbao et l’Atlético de Madrid, l’Espagne a, elle aussi, fait ses preuves. Du côté de Chelsea, cette nouvelle politique s’applique également sur les jeunes de l’effectif, à l’image de Reece James (23 ans), prolongé en septembre dernier jusqu’en juin 2028. Selon The Daily Mail, le propriétaire des Blues compte d’ailleurs employer cette stratégie avec tous les joueurs de moins de 25 ans. Un virage assumé présentant des avantages et des inconvénients pour toutes les parties.

Le fair-play financier au cœur de la stratégie !

Premier bienfait de la méthode Boehly ? Chelsea s’octroie le droit de réduire l’impact comptable. En effet, à l’heure où l’UEFA n’a encore rien prévu à ce sujet, les Blues profitent de ces contrats pour passer sous les radars du fair-play financier grâce à une période plus longue d’amortissement des indemnités, principe plus longuement détaillé lors d’un précédent article. Dès lors et à des fins de vulgarisation, au lieu de diviser par quatre ou cinq le prix de votre achat, vous le répartissez sur les sept ou huit années du bail de votre joueur. Pour illustrer l’apport comptable d’une telle stratégie, Enzo Fernandez coûtera (hors salaire) un peu moins de 15 millions d’euros par an au club londonien. Loin des 30 millions par saison que les Blues auraient pu payer dans le cadre d’un contrat de quatre saisons.

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Outre ce jeu d’écriture, permettant de détendre l’élastique sur un exercice comptable, d’autres avantages peuvent également être avancés. En recrutant principalement de jeunes joueurs sur le long terme, Chelsea s’offre ainsi la possibilité de les avoir au sommet de leur carrière. Si Malo Gusto (19 ans), David Datro Fofana (20 ans) ou encore Noni Madueke (20 ans) - pour ne citer qu’eux - devront pour cela confirmer le potentiel aperçu, les Blues disposent bel et bien d’une longueur d’avance. Par ailleurs, avec de nombreuses années au compteur, le contrat du joueur conserve, lui aussi, une valeur marchande. Dès lors, si la concurrence venait à s’intéresser à l’un des profils concernés, l’indemnité de transfert serait forcément plus élevée en cas de revente. Plus éloigné de l’intérêt du club, ce contrat longue durée assure, par ailleurs, une certaine sécurité pour le joueur dans sa carrière, et ce même en cas de blessures et/ou de mauvaises performances. Vertueuse sous de nombreux aspects, cette stratégie n’en reste pas moins risquée…

Stratégie à risque pour le club et les joueurs

En effet, si avoir signé un contrat long est un avantage pour le joueur en cas de blessure, cela peut s’avérer problématique pour le club. Se débarrasser d’un joueur qui sous-performerait ou serait longuement blessé pourrait s’avérer difficile pour la direction londonienne. Dans le même temps, le salaire du joueur ainsi que l’amortissement de l’indemnité de transfert resteront à la charge du club malgré un joueur incapable de jouer, ou plus au niveau. Cette stratégie représente une prise de risque importante pour le club, a fortiori, si les performances ne sont pas au rendez-vous.
D’autre part, s’engager à long terme peut empêcher un club de s’adapter rapidement à un environnement qui évolue sans cesse. Une nouvelle réglementation des transferts, des difficultés économiques (du club ou du propriétaire), ou des performances sportives catastrophiques sont autant d’éléments qui pourraient transformer ces contrats en véritables poids pour le Chelsea FC.

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De son côté, s’il peut apprécier la stabilité contractuelle offerte par ce contrat, le joueur s’expose également à certains risques. D’une part, placardisé par le coach, le joueur ne pourrait pas espérer une fin rapide de son contrat pour rebondir ailleurs. Coincé dans un club qui ne voudrait plus de lui mais avec un contrat encore long (donc relativement cher), les portes de sorties pourraient être peu nombreuses. Cette forme « d’autolimitation » de leur liberté de déplacement pourrait peser dans les futurs choix de carrière des néo-Blues. Au-delà du risque de placardisation, le pouvoir de négociation des joueurs au cours des années à venir se trouve également amoindri. Difficile de renégocier un salaire plus important ou un bon de sortie quand l’échéance du contrat est plus lointaine. Actuellement, de nombreux joueurs - Marco Verratti incarne cette logique - préfèrent donc signer des contrats relativement courts de 2/3 ans afin de pouvoir faire régulièrement des choix de carrière en toute autonomie ou renégocier leurs salaires.

Vers une américanisation du football européen ou un rappel à l’ordre de l’UEFA ?

Bonne ou mauvaise idée ? Pour l’instant, il est difficile de répondre à cette question et seul le temps donnera raison (ou non) aux gestionnaires du club londonien. «Il n’y a aucune garantie nulle part, aucune formule magique qui dit que cela va fonctionner et c’est ainsi que nous voyons l’avenir. Les joueurs que nous avons identifiés sont jeunes, ils ont de la qualité. Avec Mudryk et Joao Felix, en prêt, il y a un certain type de joueur en termes d’âge. Ils commencent leur carrière donc ils sont ambitieux… ils sont là pour gagner. Ce sont les bons côtés, mais existe-t-il une vie sans risque ? Non. Quoi que vous fassiez, il y a un risque et il y a une chance que cela ne fonctionne pas. Vous devez comprendre cela et les conséquences. Si les choses se passent bien, vous avez un atout fantastique et le club est sûr en termes de durée de contrat. Il y a beaucoup de facteurs. C’est une direction que le club veut prendre et évidemment je soutiens cela du mieux que je peux», assurait, en ce sens, Graham Potter.

Une chose est sûre, cette nouvelle méthode illustre bien le virage pris par la formation londonienne : un modèle de gestion de club importé des Etats-Unis. Boehly et ses partenaires ont acheté les LA Dodgers (franchise de MLB) en 2011 avec un succès financier et sportif (champion en 2020) indiscutable. A priori, ils comptent refaire le coup dans le football en investissant fortement sur des jeunes joueurs qu’ils estiment sous-évalués. À l’image du contrat de Patrick Mahomes, le sensationnel quarterback de Kansas City en NFL, qui a paraphé un contrat de 10 ans, les dirigeants blues espèrent signer de futures stars tout en évitant les renégociations fréquentes. Leur objectif affiché est ainsi d’avoir une base stable sur laquelle construire et développer le club.

Reste à voir si les échecs de développement du passé ne se renouvelleront pas dans le club qui avait acheté Thorgan Hazard, Kevin De Bruyne, Mo Salah, Thibaut Courtois and Romelu Lukaku en 30 mois, sans pouvoir développer l’ensemble de ces jeunes jusqu’à leur plein potentiel. Au-delà du risque inhérent à la stratégie mise en place par Chelsea, un risque juridique plane également puisque plusieurs clubs anglais contestent la conformité des contrats signés avec les règlements de l’UEFA. Alors que la grogne monte outre-manche, l’UEFA pourrait serrer la vis et ainsi limiter le nombre d’années de contrat à 5 ans fermes (années en option comprises), selon le Daily Mail. Nul doute que ces recrutements continueront à faire parler d’eux que ce soit sur le terrain juridique ou sur celui de Stamford Bridge…

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